Il y a de la démobilisation dans l’air. Non que le Congo ait vraiment adopté des mesures de rigueur exceptionnelle, mais le fait est que la pandémie du coronavirus marque visiblement le pas ici. Nous nous glorifions à l’envi des chiffres inexplicablement bas des morts et des contaminés. Nous glosons sur le fait que nous avons littéralement feinté cette maladie «née ailleurs où on a mangé du pangolin», comme l’explique avec verve le Congolais tutoyant sa bière.
De fait, l’espérance de tout un peuple, de tout un continent est que cette maladie, brutalement surgie en notre société, emportant des pans entiers de population, s’en aille au plus vite. Pour cela, nous nous accrochons aux plus ténus des espoirs. Nous avions parlé d’une maladie qui ne touchait que les Blancs et épargnait les Noirs; d’un virus peureux devant nos chaleurs de septembre; de notre immunité acquise… Que tout cela soit vrai ne serait même pas surprenant.
Tant nous sommes en face d’une maladie sur laquelle les scientifiques se perdent en conjectures. Mais aussi longtemps que nous n’aurons pas de vaccin contre elle, que nous ne maitriserons par avec précisions ses modes de contamination, il est illusoire de faire comme si aujourd’hui était déjà demain. Il s’agit d’une maladie, pas d’une simple indisposition. Quitte à maintenir cette atmosphère anxiogène qui ajoute à nos vieux problèmes de toujours, il faut se dire que le coronavirus est un invité qui plie y compris les plus puissants et qu’on ne chassera pas à coups de «Eux» et «Nous». Il n’y a pas ceux qui meurent et nous qui résistons.
C’est pourquoi, ajouter des bavures meurtrières à une situation si lourdement incertaine, n’aidera pas à notre immunisation. A Nkayi, dès qu’une jeune femme a été brutalisée pour non-port de bavette, la jeunesse à la recherche de tout exutoire a décrété le refus de porter le masque: «qu’ils viennent nous tuer tous !». Attitudes, l’une et l’autre, irresponsables. Agresser une jeune dame pour absence de masque est aussi contre-productif que se rebeller contre le masque lui-même est suicidaire.
La maladie est encore là : porter des slogans contre elle et contre la force publique n’est pas une garantie de santé. Mais, dans le même temps, les grenades lacrymogènes et les matraques contre des délinquants n’amèneront pas plus rapidement l’assimilation des gestes-barrières retenus comme les seuls efficaces à cette étape-ci de connaissance de la maladie. Il n’y a rien de politique dans les mesures à prendre contre elle, ne donnons pas l’impression qu’il en est ainsi.
Déplorons le décès de cette jeune concitoyenne dont la photo d’innocence inonde les réseaux sociaux, et demandons à la force publique de se montrer plus maîtresse de soi dans l’invite à observer les règles. Cette mort-là, nous aurions pu l’éviter. Cette fronde-là, nous aurions pu ne pas la susciter : les populations attendent des réponses apaisantes, et la protection, pas des brutalités contre elles.

Albert S. MIANZOUKOUTA