Comme une lettre à la poste!, Les parlementaires ont voté à l’unanimité, et sans débats contradictoires, le projet de loi portant révision de l’article 157 de la Constitution du 25 octobre 2015. C’était au cours d’une séance plénière du Parlement réuni en congrès. Les travaux étaient présidés par Isidore Mvouba, son président.

C’est le Premier ministre Anatole Collinet Makosso qui a présenté ce projet de loi organique devant le Parlement réuni en congrès. Il a donné les raisons qui ont conduit à la révision de l’article 157 de la Constitution, sur la durée de l’état d’urgence et de l’état de siège en tenant l’expérience de son application dans le cadre de la riposte en cours contre la pandémie de la COVID-19.
Pour lui, la durée de 20 jours renouvelable pour chaque période de prorogation est relativement courte. «Ce qui justifie le renouvellement à 32 reprises, depuis mars 2020, de l’état d’urgence sanitaire. Les demandes successives d’autorisation de prorogation ont ailleurs conduit à la convocation de l’une ou de l’autre chambre du Parlement en sessions extraordinaires lorsque ces chambres n’étaient pas en session ordinaires. Aussi, une durée en adéquation avec la menace qui représente la crise sanitaire actuelle pourrait être édictée à charge pour le Président de la République et pour le Parlement de la moduler en fonctions des circonstances et du contexte», a motivé le Chef du Gouvernement.
Par ces motifs, le Premier ministre a pensé que l’article 157 de la Constitution devait être révisé afin de laisser, selon lui, «l’appréciation de la durée de l’état d’urgence ou de l’état de siège au Président de la République lors de la déclaration initiale et au Parlement sur proposition du Président de la République, en cas de prorogation en tenant compte de la nature et du contexte».
Réviser la Constitution, a-t-il dit, «est une question de fidélité vis-à-vis du passé; de ceux qui ont porté la République sur les fonts baptismaux; vis-à-vis de ceux qui ont fait évoluer ses règles pour proroger les principes, parfois pour en modeler les conséquences ou pour les compléter».
Il resort de cet argumentaire que la motivation réelle de la révision de cet article est d’ordre financier et matériel.
Isidore Mvouba avait déjà dans son allocution d’ouverture, fait savoir qu’une République qui ne sait pas se réinventer pour créer les événements qui dictent les évolutions du monde peut rater un rendez-vous important de l’histoire. «La sagesse voudrait de s’adapter, s’adapter encore et s’adapter aux circonstances. Pour éviter les cycles répétitifs de prorogations dans l’intervalle de 20 jours, les parlementaires que nous sommes allons adapter notre Constitution à la pratique. Il s’agit d’un mécanisme constitutionnel qui a vocation à consolider l’état de droit et à porter la preuve de la vitalité de notre démocratie», a-t-il indiqué pour motiver le vote.
Et d’ajouter: «La gestion de la riposte en cours contre la pandémie de la COVID-19 a révélé quelques faiblesses qu’il convient de corriger pour assurer une mise en œuvre cohérente de certains mécanismes constitutionnels».

La majorité sur la défensive

En tout, quatre groupes parlementaires se sont prononcés: deux groupes à l’Assemblée nationale et deux autres au Sénat. Il s’agit des groupes PCT et alliés et de l’UPADS et alliés. Donc, opposition et majorité ont appelé à voter par un simple «oui» ou «non» la réforme constitutionnelle proposée. Le vote n’a fait l’objet d’aucun débat contradictoire.
Cinq sénateurs du groupe parlementaire de la majorité ont pris la parole pour soutenir la réforme et inciter leurs collègues à voter «oui». Le premier, Daniel Abibi, a articulé son argumentaire sur deux considérations: l’opportunité du projet de loi et sa pertinence. «Le Gouvernement ne dispose pas d’assez de temps pour développer un programme de grande envergure contre la pandémie. La prorogation de l’état d’urgence sanitaire tous les 20 jours engendre des charges supplémentaires à l’Etat tant dans la préparation des dossiers que dans le mécanisme d’examen et d’adoption de cette autorisation par les deux chambres surtout lorsqu’elles ne sont pas en session», a-t-il déclaré, estimant que le projet de loi était pertinent. «Par conséquent, il doit être voté sans état d’âme».
La vénérable Odette Massoussa Kombila a estimé que ce projet de loi était opportun et très utile. «Le délai de 90 jours permettra de mobilier les moyens nécessaires; de mieux communiquer; d’évaluer et de rendre compte des activités menées», a-t-elle soutenu.
Ralco Donatien Kitsinga a fait savoir que la révision est une disposition constitutionnelle qui ne doit surprendre personne. Il a insisté sur les dépenses qu’engendrent les prorogations. Pour lui, une évaluation ne peut pas être efficace en 20 jours. «C’est pour ça qu’il faut donner une marge et permettre aux services techniques, au Gouvernement et aux parlementaires d’être à l’aise dans le dossier. Ça coute quoi de faire qu’il y ait une marge de 20 jours?». Il a plaidé pour une implication des parlementaires pour expliquer à la population le bien-fondé de cette révision.
Pour Antonin Moulamou, ce projet de loi a l’avantage de faire évoluer positivement l’appréciation des stratégies dans le cadre du développement global du pays. «Il mérite d’être adopté».
Théophile Adoua a appelé les congressistes à voter la loi sans amendements, justifiant que la durée de 20 jours n’était pas suffisante pour mettre en œuvre et évaluer les mesures envisagées pour arrêter la pandémie de la COVID-19. «L’augmentation de cette durée à 90 jours est donc fondée».
Du côté de l’Assemblée nationale, trois députés de la majorité étaient inscrits sur la liste des intervenants: Fernand Sabaye a invité les parlementaires à plébisciter le projet de loi.
Benoit Bati a rappelé les dispositions et la procédure de révision de la Constitution et Jean Jaurès Ondélé a défendu la thèse d’une révision qui ne cache nullement une arrière-pensée politique dans la tête du Président de la République. «On ne peut pas soupçonner le Chef d’Etat de vouloir changer la Constitution», a dit le président du groupe parlementaire PCT et alliés à l’Assemblée nationale.

L’opposition méfiante

Bien qu’appelant à voter «oui», les parlementaires de l’opposition étaient très pugnaces et n’ont pas ménagé le Gouvernement.
Jean Marie Epouma: «Tous, nous savons que lorsqu’on touche à la Constitution, il y a des passions qui se déclenchent à tort ou à raison. Nous avons donc l’obligation de communiquer pour dire que nous nous retrouvions ici pour la révision de l’article 157 qui ne concerne pas la mise en place d’une vice-présidence ou quoi que ce soit. On doit parler le langage de la vérité», a-t-il affirmé.
Le sénateur Ompebé voulait savoir ce qui justifiait l’efficacité de la révision de l’article 157. «Pourquoi les constituants de l’actuelle Constitution n’avaient-ils pas prévu une disposition de l’article 157 prévoyant par exemple une durée au-delà de 20 jours?».
Le député Bonaventure Boudzika s’est dit surpris car ne comprenant pas comment le Gouvernement peut être lassé par la succession des sessions extraordinaires: «Il y a un prix à tout», a-t-il rappelé, faisant allusion au coût allégué des sessions.
Le projet de loi en examen, a-t-il poursuivi, «laisse penser que le Gouvernement est fatigué de respecter la rigueur de la loi fondamentale, en matière de restriction des libertés. Qu’y a-t-il de mal pour un Gouvernement de se voir régulièrement contrôlé par la représentation nationale? La durée de 20 jours était réfléchie par le constituant ou le législateur de l’époque qui avait trouvé judicieux de ne pas donner trop de marge à l’exécutif de pérenniser les restrictions et libertés», a-t-il demandé.
Il a invité le Gouvernement à justifier son choix: «Il faut qu’il y ait des arguments. Et si demain, il y a une autre situation, le Gouvernement reviendra-t-il encore solliciter la modification de la Constitution?», s’est-il interrogé.
Pour lui, ce qui fait aussi la respectabilité d’un Etat, c’est le respect dans la durée des lois qu’on s’est prescrites. «A notre connaissance, le peuple n’a pas dit certainement au Gouvernement que 20 jours étaient peu. Il faut gouverner pour le peuple. Quel est alors le bénéficie du peuple dans cette révision de l’article 157? Limiter les libertés pendant 90 jours, est-ce que c’est cela l’aspiration du peuple? Pour quel intérêt doit-on toucher une Constitution qui jusque-là ne faisait grincer aucune dent? Le Gouvernement est-il vraiment asphyxié financièrement au point d’en arriver là?».
Le président du groupe parlementaire UPADS et alliés, Jérémy Sylvain Lissouba, n’a pas fait de quartier au pouvoir. Son intervention a débuté par un questionnement: qu’elle était cette urgence qui a «justifié tant de précipitation dans la procédure pour la révision en cours de la Constitution?».
Il a fait remarquer que cette procédure n’était pas démocratique, mais plutôt oligarchique, «censée voter par un simple oui ou non, la révision de notre loi fondamentale. Le vote de cette loi par le Parlement réuni en congrès n’est plus ni moins qu’un référendum indirect, sans débats réels sur la révision proposée, sans possibilité d’amendements, sans participation des parlementaires non-inscrits et sans même le temps de sonder nos électeurs avant d’engager leurs voix sur la question. Voilà la conséquence la plus grave de cette précipitation des révisions constitutionnelles qui peuvent aujourd’hui se faire sans l’aval du peuple souverain», a-t-il expliqué.
«Ces agissements devenus beaucoup fréquents dans nos administrations sont non seulement contradictoires, mais nous déshonorent tous. Ce débat aurait pu avoir lieu et aurait même pu accoucher d’échanges et propositions capables de révéler, d’améliorer le texte et de rassurer tous ceux qui de manière tout à fait légitime s’inquiètent de l’état de droit dans notre pays», a-t-il regretté.
Par cette révision, il a estimé que le pouvoir a prescrit la force au profit de la raison. «De grâce, ne laissons pas cette manière de faire devenir la norme dans le pays», a-t-il exhorté, tout en invitant le président du congrès à prendre l’engagement de rendre plus conciliant et démocratique le processus de révision de la Constitution, censé garantir les libertés , la paix, l’unité nationale et l’unité nationale.
Pour Pascal Tsaty-Mabiala, pourquoi le Gouvernent a attendu tant d’années depuis la promulgation de l’actuelle Constitution, le 6 mars 2015, pour combler ce vide juridique? «Peut-on raisonnablement justifier cette réforme pour le moins insolite par le simple souci de cohérence entre la gestion de la pandémie de la COVID-19 et le calendrier des sessions parlementaires avec soi-disant, les charges financières qu’elles induisent? A quoi donc pourrait servir la révision actuelle qui porterait simplement sur la maximisation de la durée de l’état d’urgence jugée insuffisante par le Gouvernement pour gérer au mieux les problèmes que génèrent cette crise sanitaire?», s’est-il interrogé.
Pour Pascal Tsaty-Mabiala, le projet de loi n’appelait pas de la part de l’opposition une observation de fond qui pourrait justifier son rejet. D’où son appel à voter oui, malgré tout.
«Merci et grand merci», s’est réjoui Isidore Mvouba qui a dit au passage un petit cou cou «à nos amis de l’UPADS pour cet esprit républicain».
Après quoi, la réforme a été votée à l’unanimité sans amendements et par acclamations debout.

Cyr Armel YABBAT-NGO