La fuite de millions de documents et de transactions bancaires à la BGFIBank a permis de découvrir la face cachée de l’un des plus gros scandales financiers de la République Démocratique du Congo: les 43 millions de dollars d’argent public versés à Egal, une société d’importation de viandes et de poissons liée au premier cercle de l’ancien président Joseph Kabila. L’Inspection générale des finances a enquêté et a dédouané certains des acteurs.

J’étais face à un groupe de mafieux. C’est inacceptable ce qui s’est passé.» Cette déclaration est de l’homme le plus redouté de la République Démocratique du Congo (RDC) : Jules Alingete, patron de l’Inspection générale des finances (IGF) depuis le 30 juin 2020. En République Démocratique du Congo, cette institution a la particularité de dépendre directement du président de République.
Jules Alingete est le «Monsieur anticorruption» du nouveau président investi début janvier 2019, Félix Tshisekedi. Il est chargé de tenir l’une des promesses de campagne du chef de l’État : traquer les détournements massifs d’argent public qui ont ruiné le Congo-Kinshasa pendant les dix-huit ans de règne de l’ancien président Joseph Kabila.
Les propos du patron de l’IGF sur les «mafieux» étaient d’autant plus durs qu’il a cité les dignitaires les plus puissants du régime Kabila : l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Deogratias Mutombo, le président de l’entreprise minière publique Gécamines, Albert Yuma, ou encore le frère adoptif de Kabila, Francis Selemani, qui a dirigé la banque BGFI RDC jusqu’en 2018.
L’affaire qui émeut Jules Alingete est un scandale retentissant : le détournement de 43 millions de dollars de la Banque centrale, avec la complicité de la BGFI, au profit de l’Entreprise générale d’alimentation (Egal), une société d’importation de viande et de poisson appartenant à des personnalités du premier cercle de l’ancien chef de l’État.
Ce détournement a été révélé en 2016 par Jean-Jacques Lumumba, ancien salarié de la BGFIBank devenu lanceur d’alerte. Mais il a fallu attendre janvier 2021, deux ans après l’investiture de Félix Tshisekedi pour que l’IGF lance enfin une enquête.
Jusque-là, comme il l’avait déclaré en 2019, le nouveau président se refusait à «fouiner dans le passé», en particulier au sujet des affaires qui touchaient d’un peu trop près à son prédécesseur. La victoire de Félix Tshisekedi aux élections de 2018 reste entachée de graves irrégularités. Pour devenir président, il a dû passer un accord politique avec M. Kabila, qui a conservé pendant deux ans le contrôle des principales institutions du pays.
Mais au moment où Jules Alingete ouvre son enquête, en janvier 2021, rien ne va plus entre les alliés de 2018. Félix Tshisekedi a déjà pris le contrôle du Parlement et cherche à faire tomber le gouvernement issu de tractations avec le camp Kabila. Il souhaite aussi reprendre le contrôle de la Banque centrale du Congo (BCC), toujours sous le contrôle de son prédécesseur et de deux de ses proches qui siègent au conseil d’administration.

Gaule D’AMBERT