Au lendemain de la levée de ses immunités parlementaires, et six ans après son départ du pouvoir, pour sa première prise de parole depuis 2019, Joseph Kabila Kabange, l’ancien président congolais, a dénoncé une instrumentalisation de la justice et la dérive dictatoriale du pouvoir en place, mais aussi la dilapidation de l’héritage de l’alternance, avant de régler ses comptes avec son successeur. C’était vendredi 23 mai 2025, lors d’une prise de parole exceptionnelle.
L’ancien président a affirmé que la RDC est actuellement un «Etat-failli, il est gravement malade, victime d’une gouvernance caractérisée par la violation de la Constitution». Il accuse ouvertement le régime de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo d’avoir transformé le Parlement, temple de la démocratie, en simple «Chambre d’enregistrement de la volonté d’un seul homme».

Il se pose en victime d’un pouvoir qu’il estime autoritaire et revanchard: «Continuer à me taire m’aurait rendu poursuivable devant le tribunal de l’histoire pour non-assistance à plus de 100 millions de compatriotes en danger», avant d’expliquer le fait qu’il sort du silence, une première fois depuis sa passation de pouvoir en janvier 2009. Il rassure avoir voulu favoriser «le fonctionnement harmonieux des institutions à travers l’accord de coalition signé en 2019 avec Félix Tshisekedi. Il estime que cet arrangement a été trahi par une série de manœuvres politiques, notamment le coup d’Etat institutionnel de décembre 2020».
De même, il accuse son successeur d’avoir nommé illégalement les membres de la Commission nationale électorale indépendante et d’avoir fraudé les élections de 2023, qu’il qualifie de simulacre. Il a également dénoncé l’asphyxie sociale, l’exode rural et l’angoisse existentielle d’une jeunesse abandonnée.
Sur le plan économique, Kabila a fustigé «l’inaction de l’actuel pouvoir face à la dégradation des conditions de vie», regrettant la résurgence de l’inflation, de la corruption et d’un endettement au-delà de dix milliards de dollars. Sur le plan sécuritaire, il accuse le pouvoir en place de sous-traiter avec les groupes armés, notamment des mercenaires, affaiblissant l’armée nationale. Il a indexé la répression sanglante dans différentes provinces de la RDC, tout en évoquant la mort de plusieurs détenus à la prison centrale de Makala, en 2024 qu’il a qualifiée de crime contre l’humanité.
Pour ce faire, l’ancien président propose «un pacte citoyen», articulé sur douze priorités, dont la fin de la «tyrannie», la restauration de la démocratie, le retrait des troupes étrangères, et de la relance d’un dialogue inclusif. Il appelle tous les Congolais à un sursaut patriotique pour sauver le Congo.
Pour l’ancien chef de l’Etat, sénateur à vie, cette séquence n’est pas qu’une affaire personnelle, elle serait, affirme-t-il, révélatrice d’un glissement autoritaire à la tête de l’Etat. Cette sortie, première du genre depuis son départ du pouvoir, intervient alors que le président Tshisekedi entame son deuxième mandat dans un climat politique tendu où déjà quelques proches de Joseph Kabila sont aux arrêts.
Après le discours de Joseph Kabila, le gouvernement, à travers son ministre en charge de la Communication et porte-parole, Patrick Muyaya Katembwe, les politiques et ONG ont pointé les échecs de sa présidence. Il est accusé de soutenir la rébellion du Mouvement 23/Alliance Fleuve Congo (M23/AFC). Un fait présumé, selon eux, qui lui a valu la levée de ses immunités par le Sénat. Ils lui ont également rappelé les scandales et les échecs de ses dix-huit ans de règne.
Joseph Kabila est retourné dimanche 25 mai à Goma, ville sous contrôle du Mouvement rebelle AFC/M23 soutenu par le Rwanda.
Alain-Patrick
MASSAMBA