«Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin», tel est le titre du roman que vient de publier, aux éditions Les Lettres mouchetées, à Pointe-Noire, la capitale économique de la République du Congo, le journaliste et essayiste François Ondai Akiera.

Dans cette œuvre, l’auteur «revisite, avec brio, l’histoire du Congo, à travers le destin romanesque de Mwana Okwèmet, qui traverse le 20e siècle sous le sceau de la prophétie et de la protection du fétiche Okwèmet…A travers cette fresque historique se dessinent l’effondrement de la société mbochie, le joug de la colonisation avec les travaux forcés, les milices cerbères, le goulag Congo-Océan…Mais l’auteur ne tombe pas dans la caricature, car sans ignorer la violence du colon, il met aussi en exergue les contradictions d’une société esclavagiste africaine», soutient l’éditeur, sur sa page Facebook.

La couverture du livre
La couverture du livre

Résumé du livre: À Bèlet, au pays de l’Alima, les augures sont favorables: Lembo’o accouchera d’une fille qui vivra cent ans! L’enfant naît sous la protection d’Okwèmet, un redoutable fétiche. Elle sera Mwana Okwèmet, l’enfant du fétiche. Avec la naissance de sa fille, Lembo’o espère avoir déjoué le sort qui s’acharnait sur sa maison. Mais l’adversité guette…Les colons français ne sont pas loin. Happée par le tourbillon de l’Histoire, Mwana Okwèmet traverse le siècle sous le sceau de la prophétie et la protection du fétiche. À travers son destin romanesque se dessinent l’effondrement de la société mbochie, le joug de la colonisation avec les travaux forcés, les miliciens-cerbères, le goulag Congo-Océan…
François Ondai Akiera nous offre ici une fresque historique émaillée de conquêtes et de résistances, colorée par une galerie de personnages époustouflante. Mais, comme le souligne Boniface Mongo Mboussa dans sa préface, l’auteur ne tombe jamais dans la caricature. Sans ignorer la violence du colon, il met en exergue les contradictions d’une société esclavagiste africaine à l’entrée du 20e siècle.
Extrait de la préface du livre: «(…)Dans notre histoire littéraire, il (ndlr: François Ondaye Akiéra) est un jeune auteur, mais vieux lecteur, un vieux lecteur qui a, mieux que quiconque, médité cette sentence de Faulkner: The past is never dead It’s not even past». D’où son beau roman Mwana Okwémet: une réflexion sur un passé qui ne passe pas.
Au lendemain des indépendances, la littérature congolaise s’est distinguée de la continentale par le fait qu’elle a tourné le dos au passé colonial pour mieux décrire l’homme congolais postcolonial.…En publiant aujourd’hui Mwana Okwèmet, François Ondai Akiéra insère dans celle-ci son chaînon manquant…
A travers l’histoire d’une fille du bassin de l’Alima-Nkeni, il met en scène une région à la croisée des chemins entre l’effondrement de la société mbochi-bangangoulou et l’affirmation de la colonisation. Se dessine alors un choc de civilisations. D’où cette comparaison que j’ai osée avec «Monné, Outrages et défi» de Kourouma. Alors que Djigui, roi de Soba chez Kourouma pactise avec l’ennemi et sombre jour après jour dans la collaboration, le héros de François Ondai Akiera livre un combat désespéré et inégal, puis meurt les armes à la main. Ce qui l’érige au rang de résistant. De ce point de vue, sa défaite est (dans une certaine mesure) une victoire. Victoire aussi par le destin de sa fille Mwana Okwemet, la fille du fétiche, qui va déjouer tous les obstacles qui se dressent sur son chemin au point de mourir centenaire. D’où le double statut de ce roman. A la fois texte historique et récit d’apprentissage. L’intérêt du roman réside en la présence du fétiche Okwemet, fondamental dans la culture mbochie et bangagoulu, puisque ce fétiche régit la vie et la mort des individus. Et c’est justement ce fétiche, qui assume le destin de l’héroïne. A travers Okwèmet, c’est tout un pan culturel avec en creux la question de la sorcellerie et donc du mal que décrit le roman. Sur ce point, j’ai été sensible à l’honnêteté de l’écrivain, qui refuse, malgré la violence coloniale, de tomber dans la caricature de l’Africain bon sauvage découvrant l’horreur au contact de l’homme blanc. Au contraire, il nous montre une société esclavagiste où le rapt des enfants est légion. De ce point de vue, ce roman constitue un apport précieux pour les sociologues et ethnologues.
Mais Mwana Okwèmet est aussi un concentré de la géographie des peuples mbochi. En nommant l’ensemble de tous ces villages avec leur faune, leur flore, leur fleuve dans leur étrangeté, le romancier fait surgir, sous nos yeux, toute une civilisation à laquelle il participe. Tout un monde qui a bercé son enfance, nourri son imaginaire. L’auteur nous rappelle enfin, à travers le portrait du milicien Gbakoyo originaire du Centrafrique, ce qu’était le Moyen-Congo et le rôle joué par ce bras armé du colon dans la relation coloniale. Au cœur de la terreur coloniale, il brutalisait, sodomisait, violait, endeuillait des villages. En mettant patiemment en scène cette rencontre manquée entre l’Europe et l’Afrique, François Ondai Akiera prend rendez-vous avec le futur. Car «Hier est dans les pas de demain», dit un des personnages de Tchicaya U Tam Si. Autrement dit, le passé est vide de sens s’il ne se projette par la médiation du présent. «Pour ceux qui ne connaissent de leur histoire que la part de nuit ou de démission à quoi on a voulu les réduire, l’élucidation du passé proche ou lointain est une nécessité. Renouer avec son histoire obscurcie ou oblitérée, l’éprouver dans son épaisseur, c’est se vouer mieux encore aux saveurs du présent». Voilà ce qu’écrivait Edouard Glissant, au sommaire de sa pièce ‘’Monsieur Toussaint’’, dédiée à cette grande figure de la résistance haïtienne morte dans le froid (Jura) dans une prison napoléonienne. Et on peut sans bovarysme appliquer ces mots d’Edouard Glissant à la démarche poétique de François Ondai Akiera. Oui, poétique, même si jusqu’à présent, on a insisté sur le fond de ce texte, on n’a jamais perdu de vue son statut littéraire. Car il s’agit d’abord d’un roman et non d’un précis d’histoire. Malgré le nombre vertigineux de ses personnages (certains sont sommaires), qui nécessiterait peut-être un glossaire, Mwana Okwemet est un roman séraphique par son ton soutenu, sa langue ronde, la puissance de ses dialogues, l’usage dosée de l’ironie, le refus du pathos, etc. Autant d’ingrédients, qui participent de la réussite de ce beau récit. Un récit, qui, page après page, nous rappelle, de manière lancinante, l’axiome de Faulkner: «Le passé n’est jamais passé; d’ailleurs, il n’est même pas passé».

V.C.Y.