Le pays est loin de nous et il n’est pas sûr qu’une majorité de Congolais en sache beaucoup sur lui. Le Soudan du Sud n’a pas de frontière partagée avec le Congo. Ses populations, nos frères et sœurs, nous avons l’habitude de les regarder avec condescendance, d’un peu haut: les pauvres! Même leur statut de plus jeune nation du monde ne semble pas nous parler de manière particulière: 60 ans de prétendue indépendance pour nous, contre 9 ans seulement pour eux: il n’y a effectivement pas match. Et pourtant !
Et pourtant, rien des douleurs et des errements qu’a traversés le Soudan du Sud depuis son indépendance ne nous est inconnu. A part son détachement du Soudan et les souffrances endurées de la part de compatriotes musulmans qui voulaient leur imposer leur foi, rien ne nous est inconnu. Pas la guerre fratricide, ni la lutte sanglante de leadership, l’obstination à incarner une ethnie qui en impose aux autres, les armées obéissants tantôt au président, tantôt au vice-président, ou les méfiances réciproques et la soumission apparente aux injonctions internationales.
Rien de tout cela ne nous est inconnu. A un moment ou à un autre, l’histoire congolaise a en effet, été traversée par ces phases de fièvre purulente, aboutissant au décompte macabre des morts de chaque camp sans gain de personne, sans bon sens forçant à la retenue. Et toujours des armes à profusion, provenant de généreuses officines plus émues de voir une mitraillette s’enrailler que les ventres gonflés des faméliques petits sud-soudanais, des populations réduites à la misère au bord des pipe-lines rutilants. Au Sud-Soudan, la guerre a fait 400.000 morts en 6 ans.
C’est-à-dire que depuis 2013, 400.000 Sud-Soudanais sont passés du statut de citoyen à celui d’une simple statistique en bas de page. Mais pour quelle cause? Il n’y a vraiment pas plus absurde que de massacrer un peuple que l’on prétend sauver. Il n’y a rien de plus atroce que de succomber sous les balles d’un ennemi qui ne devrait pas en être un. Surtout en plein état de grâce induit par l’indépendance fraîchement acquise !
Si je vous parle du Sud-Soudan aujourd’hui, c’est que les deux frères ennemis qui s’y font la guerre viennent de penser à travailler ensemble (lire l’article en page 7). Après deux tentatives de se rapprocher, ils ont enfin décidé de se constituer en gouvernement d’union. D’accepter d’être l’un le vice-président de l’autre, de tenir les armées «privées» en dehors du champ politique et de renoncer au saucissonnage administratif orienté. Les gens invitent à croire que cette fois sera la bonne. Voir.
Si je vous parle du Sud du Soudan, c’est aussi parce que l‘Eglise catholique, le Pape François, s’est fortement impliqué dans la recherche d’un arrêt des souffrances dans ce pays. Les deux protagonistes ont même été jusqu’au Vatican promettre, au nom de leur foi chrétienne, de renoncer à s’obstiner dans une attitude meurtrière. Ils ont promis, ils n’ont jamais tenu parole: qui a dit que les pratiques sud-soudanaises étaient éloignées des us et coutumes de nos politques ?

Albert S. MIANZOUKOUTA