Nommé le 27 mars 2020 par Conseil des ministres, Louis Marc Sakala, directeur général de l’Agence de régulation des postes et des communications électroniques (ARPCE) indique les actions qu’il mènera pendant son mandat dans le secteur du numérique. Monsieur le directeur général, votre nomination à la tête de l’ARPCE intervient à un moment marqué par la pandémie du coronavirus et ses effets.

Comment se comportent les marchés des postes et des communications électroniques?

** Nous sommes dans un contexte complexe, avec la COVID-19 qui a frappé notre pays. La crise a eu un impact considérable sur le secteur des communications électroniques. La COVID-19 a frappé la Chine en premier et a entraîné la fermeture de l’un des plus grands consommateurs de carburant au monde. Au Congo, les emplois ont été touchés; lorsqu’il y a perte d’emploi, les citoyens ne peuvent pas recharger leur téléphone comme à l’accoutumée. Ils sont automatiquement aussi frappés par cette crise. Les opérateurs ne peuvent rien faire, car ils se rémunèrent sur les communications. Cette crise a permis aussi de faire un état de lieu, pour savoir si notre secteur était bien portant. Aujourd’hui, c’est peut-être nouveau dans notre pays, mais nous nous rendons compte de plus en plus que les réunions se font via internet, via les nouvelles technologies comme Zoom, Whatsapp, etc. Ce, pour respecter la distanciation sociale. Tous ces systèmes peuvent marcher essentiellement s’il y a des infrastructures qui fonctionnent et de la capacité disponible parce que les serveurs qui gèrent ces systèmes sont des systèmes étrangers et beaucoup sont localisés aux Etats-Unis. Il faut une bonne connexion internet. Les communications électroniques ne sont pas des secteurs mis à l’écart de l’ensemble des activités d’un pays. Nous sommes au cœur des activités du pays, parce que tout le monde communique à base de son téléphone, de son ordinateur etc. Quand le pays est frappé par une crise, le secteur des communications électroniques ne reste pas en marge. C’est pourquoi, notre premier engagement, c’est de sécuriser le marché. Nous ne sommes pas à l’abri parce que les entreprises multinationales dont nous avons les représentations ici ferment. Notre premier objectif c’est que ces entreprises ne tombent pas en faillite, mais qu’elles arrivent à traverser cette crise avec notre pays. Le métier du régulateur est de veiller à ce que les communications électroniques se passent toujours bien, veiller à ce que la qualité de service soit toujours mis en avant.
*Vous avez clairement exprimé votre volonté de poursuivre l’œuvre entamée par votre prédécesseur, «le changement dans la continuité». Avez-vous le sentiment d’être sur la bonne voie?
** Je tiens tout d’abord à louer l’action de mon prédécesseur, le Directeur général Yves Castanou, pour le travail qui a été déjà fait. Lorsqu’on parle de changement, cela ne veut pas dire qu’il y avait des mauvaises choses, c’est vraiment la poursuite de l’amélioration en continue. L’axe du secteur des communications électroniques n’est pas fixé par nous, il est universel. Il est surtout fixé par les constructeurs et les technologies. De notre côté, nous ne pouvons que suivre cette avancée technologique. Les constructeurs parlent de la 5G dans d’autres pays. Nous sommes dans l’obligation de commencer à regarder la 5G et à se préparer. Le changement dans la continuité, c’est de poursuivre l’action qui a été déjà amorcée pour ramener le Congo parmi les 5 pays leaders des communications électroniques en Afrique. Ce travail commence par chercher à faire ce qui a été fait par ceux qui sont devant nous, voire ce que nous faisons et ce que nous ne faisons pas encore. Nous allons corriger ces erreurs pour nous améliorer. Il y a beaucoup de projets qui ont vu le jour, comme le hub numérique dont la première phase a débuté en octobre 2019, et la seconde phase que nous allons entamer le 1er août avec les banques; les timbres électroniques pour la dématérialisation de nos paiements pour un meilleur suivi des taxes, en partenariat avec le ministère des Finances: l’un avec l’Agence de régulation de transferts de fonds (ARTF) et l’autre avec la Direction générale des impôts et des domaines. Concernant le secteur, nous avons beaucoup d’actions que nous menons afin d’améliorer les transmissions et les infrastructures dans notre pays qui sont l’objet de beaucoup de retombées. Nous avons un pays qui n’a qu’une seule sortie en fibre optique qui est le câble sous-marin qui arrive à Matombi. Il nous faut un deuxième, voire un troisième pour donner vie à la vision du chef de l’État qui consiste à vulgariser le numérique d’ici à 2025. Dans cette même lancée, nous sommes en train de construire un bâtiment technique juste à côté de notre siège social. Ce bâtiment va abriter un data-center et les différentes plateformes du secteur pourront y être hébergées.
*Quelques consommateurs évoquent des ponctions de crédit, l’arnaque sur les comptes Mobile money et des forfaits internet des tarifs farfelus. Ces plaintes sont-elles parvenues à vos oreilles?
** L’ARPCE ne fixe pas les prix des consommateurs, il encadre et contrôle les prix. Les prix d’un opérateur dépendent de la concurrence qu’il y a sur le marché. Nous ne pouvons que dire à un opérateur de ne pas dépasser un certain seuil du tarif, parce que s’il dépasse le prix de la limite, il sera incapable de payer ses travailleurs et de faire face à ses charges. Les marchés de la concurrence régulent tous seuls les prix. Nous n’autoriserons pas que le mégabit soit en-dessous de son coût de revient. Le but de l’opérateur est que le consommateur consomme beaucoup et il se doit d’avoir des prix bas afin d’inciter à la consommation. Les différentes arnaques Mobile money et Airtel money deviennent très courantes, nous travaillons main dans la main avec la police pour pouvoir interpeller les malfaiteurs. Beaucoup ont déjà été interpellés. Les techniques de ces arnaqueurs sont connues avec les messages tels: «Vous avez gagné à un jeu…». Nous allons lancer un nouveau projet appelé Visio Sim qui permettra à la police d’automatiser ses enquêtes. Un compte Mobile money est un compte bancaire. Les opérateurs sont libres de mettre leurs forfaits. Nous contrôlons pour voir si le forfait est vrai. Le 50/50 existe pour partager les plaintes. A la fin, l’opérateur ne peut que se battre pour que le consommateur s’y retrouve.
*Le régulateur que vous êtes est souvent traité de complaisant envers les opérateurs. Comment réagissez-vous à ce sujet?
** Nous sommes l’Etat sans être l’Etat. La loi qui nous crée, crée une autorité de régulation. On peut nous traiter de complaisant sur certains faits, nous l’assumons. Mais, d’emblée, lorsque les communications électroniques au Congo ont un coût très bas, les opérateurs nous traitent de complaisants avec les consommateurs. De même, lorsque nous bataillons contre un texte de loi qui peut mettre à mal le secteur, l’Etat va dire que le régulateur est complaisant. Nous ne pensons pas que nous sommes complaisants mais nous respectons le travail qui nous est demandé. Il y a des plaintes sur lesquelles nous pouvons intervenir et des plaintes aussi où nous ne pouvons pas intervenir. Par exemple, nous avons reçu une plainte de tous ceux qui travaillent sur le Mobile money et qui ont vu leur commission baissée. Nous n’avons pas mandat de rentrer dans le contrat entre MTN et les marchands. Nous avons demandé des explications à l’opérateur. Nous regardons les différentes conventions d’interconnexion. Il y a beaucoup de plaintes. Mais nous allons travailler à l’amélioration du traitement et des plaintes avec les opérateurs. La régulation veut que tout le monde dans le marché soit content.
*Dans le cadre des transferts d’argent, les marchands de Mobile money sont mécontents de la baisse des commissions depuis quelques jours. La situation fait grincer les dents chez les usagers. Quelle est la responsabilité de l’ARPCE dans ce processus?
** La responsabilité de notre structure n’est pas engagée dans le contrat. L’opérateur MTN et ses revendeurs, au moment où ils signent leur contrat, l’ARPCE n’est pas pris en compte. Aujourd’hui, lorsqu’ on a des problèmes d’identification de numéro, ce n’est pas MTN ou Airtel, c’est le dernier revendeur qui a vendu une Sim qui n’est pas identifiée. Pourtant, le régulateur sanctionne l’opérateur qui a eu mandat de le faire respecter. De la même manière, lorsqu’ils ont des contrats entre eux, l’ARPCE n’intervient pas. Si MTN décide de ne pas respecter les clauses du contrat, il y a une justice. Nous sommes dans la régularisation d’un secteur. Nous demandons à MTN de regarder, de comprendre et de donner la meilleure réponse aux marchands.
*Plusieurs consommateurs jugent encore cher internet au Congo, alors que quelques opérations de benchmarking réalisées en Afrique montrent que le pays n’est pas dernier du tableau. Comment peut-on interpréter le coût de l’internet mobile au Congo?
** Le calcul de coût se fait sur la base d’un coût de revient. Lorsqu’on achète internet au niveau des grands fournisseurs, à combien nous l’achetons et combien cela revient pour que le dernier consommateur le reçoive sur son téléphone ou sur son ordinateur? Tout cela doit se faire sur un calcul pour savoir combien le prix du méga revient. Le dernier benchmarking plaçait le Congo 13e pays le moins cher. Nous avons un seul câble sous-marin et les coûts vont être répercutés. Or, s’il y a plusieurs câbles, les coûts vont se partager parmi les différents acteurs, ce qui va réduire le coût de l’internet. Les infrastructures de transports sont très importantes. On peut transporter par faisceaux hertziens, ce qui coûte très cher ou par fibre optique. J’appelle tous les consommateurs qui se plaignent du coût élevé de l’internet d’aller dans les pays de la sous-région (Gabon, RDC, Angola, Guinée) pour se rendre compte qu’au Congo nous avons des prix d’internet acceptables. Le coût de l’internet et du mégabit est un coût qui n’est payé que par une partie de ceux qui utilisent internet. 70% des consommateurs ont un téléphone GS 2G, «sans complexe». Il ne supporte pas le poids de l’internet. Si les consommateurs avaient des téléphones 3 ou 4G, on aurait une grande consommation, ce qui réduirait les coûts sur les prix de revient. Il n’y a que 30% qui consomment l’ensemble des charges liées à l’internet. Lorsqu’il y aura beaucoup de consommation, les prix vont baisser. Au mois d’avril, la perte en téléphonie mobile a été de 21%.
*A quand une rencontre avec les opérateurs et les associations de consommateurs pour tenter d’apporter une lumière sur des sujets parfois mal compris?
** A cause des mesures barrières, nous ne pouvons pas réunir plus de 50 personnes. Une meilleure communication fait partie de la clé du succès. Nous travaillerons avec les médias, les associations des consommateurs, les opérateurs afin qu’ils aient la bonne information.
*Comment fera l’ARPCE pour sécuriser le marché en cette période de COVID-19?
** La sécurité du marché se fait par la sécurisation des coûts. La régularisation a dû mettre fin à l’époque aux forfaits «Masolo à gogo» et à certains forfaits. On évite que les opérateurs vendent à perte pour essayer de compenser. Nous travaillons avec les opérateurs qui nous font des propositions et mettent en place les différentes stratégies pour sécuriser ce marché.

Propos recueillis par
Aybienevie
N’KOUKA-KOUDISSA