Nous publions ci-après la suite de l’article du Professeur André-Patient Bokiba, consacré à l’histoire de la basilique Sainte Anne du Congo, paru dans notre précédente édition en page 8.(Suite de l’édition précédente)

La problématique des antagonismes impose de résoudre quelques contraintes liées à la société coloniale. Le premier antagonisme est d’ordre racial: le contexte colonial impose la discrimination Blanc-Noir comme axe majeur de la structuration de la société. Il y a ainsi, comme je l’ai indiqué plus haut, deux missions, une pour les Blancs, Saint François d’Assise et une autre réservée aux Noirs de Poto-Poto et de Bakongo, la Cathédrale Sacré-Cœur. Le deuxième antagonisme concernant cette dernière mission est d’ordre ethnique sur fond de discrimination linguistique: les Chrétiens originaires de Bakongo prient en lari, ceux de Poto-Poto sont des Bangala et prient en lingala: cela impose des exercices de dévotion par alternance. Moralité: le vicariat apostolique de Brazzaville va se résoudre à l’idée de créer deux pôles de dévotion spécifique, un à Bacongo. Autour de l’église Saint-Claver confié au père Hilerman et un autre à Poto-Poto confié au père Nicolas Moysan. A la mission de Poto-Poto, quartier cosmopolite à prédominance Bangala, se pose la question de la langue du culte, car il y en a en fait trois: le mbochi, le téké et le lingala. Il est malaisé de jongler entre les trois langues dans le discours d’évangélisation, de passer, pour désigner le ciel, de yulu, à likolo et à iko. Il a fallu opérer un choix: il s’est porté sur le lingala.
Au-delà des paradoxes et des antagonismes, l’entreprise d’évangélisation devait dans le vicariat apostolique de Brazzaville poursuivre sa dynamique d’enracinement, notamment par le choix du site d’implantation.

Site d’implantation: Poto-Poto et le quartier Bonga

Prof André-Patient Bokiba

Dans son ouvrage, Georges Mabona décrit excellemment le peuplement du Quartier de Poto-Poto. Celui-ci va de la zone du palais de Justice et rassemble des populations de diverses origines: de sénégalaises, des ressortissants, de la rive gauche du fleuve, des ressortissants du secteur de Mossaka (majoritairement les Bouègni, les Likoualas et les Bobangi de la Basse Likouala-aux-Herbes) se retrouvèrent au quartier Bonga, à Brazzaville, sous l’autorité à cette époque, de Désiré Sosso, le chef dudit quartier, et à l’ile Mbamou, sous l’autorité de M. Bobénda, père de Bernard Mambéké Boucher. Au quartier Bonga se situent les concessions familiales des Dos Santos, des François Balou, père des Jean, Abel, Félicité, des Békiabéka, des Ndouabéka, qu’est bâtie la basilique Sainte-Anne du Congo.
En application des directives de Gouverneur général Félix Eboué, qui veut que la basilique Sainte-Anne soit construite entre la ville européenne et la cité africaine, les habitants du quartier Bonga du secteur de la basilique et du domaine de la mission, avaient été progressivement déplacés, et réinstallés par l’administration vers d’autres secteurs de Poto-Poto, puis, par la suite, à Ouenzé̀.

La pierre et l’esprit

Le projet d’un ouvrage consacré au salut des âmes met en jeu la matérialité physique de la pierre et l’enthousiasme spirituel des hommes et des femmes appelés à l’animer. A cet égard, l’on retiendra que des prêtres et des laïcs, des Congolais et des étrangers amis, illustres figures de l’épopée gaullienne de ce monument symbolique de la France libre de même d’humbles paroissiens anonymes ont mis leur foi dans la magistrale esquive des antagonismes identifiés plus haut.

La construction de l’édifice

Cet élan de ferveur n’est pas sans expliquer la double maîtrise d’ouvrage dont avait, selon toute vraisemblance, joui le projet. Celle-ci relevait apparemment d’une double autorité, celle de l’Eglise et ultérieurement celle de l’administration. En 1936, Mgr Biéchy, vicaire apostolique de Brazzaville, décide de la construction d’un sanctuaire à Poto-Poto. C’est le père Nicolas Moysan, curé du district de Poto-Poto qui est désigné pour la fondation de cette mission qu’il dédie à Sainte-Anne, en référence au sanctuaire de Sainte-Anne d’Auray en Bretagne. Une autre source indique qu’en 1940, Félix Éboué, gouverneur général de Afrique équatoriale française décide de l’implantation du complexe église–presbytère–stade omnisport, à la jonction des quartiers de la plaine et de Poto-Poto. Le nom de la sainte patronne, Anne, est celui d’une fille du général De Gaulle. Le terrain choisi appartient à la famille du père de Félix Malékat.
En tout état de cause, le 13 mars 1943 a lieu le premier coup de pioche, la préparation du terrain, l’Installation du chantier et l’exécution des fouilles des fondations. Il va surgir progressivement de terre un édifice monumental aux formes novatrices et hardies dues au talent de l’architecte Erell qui avait réussi une sublime fusion des formes de l’architecture européenne et des éléments des cultures africaines: un arc en ogive très aigüe inspiré par les fers de lance du nord du Congo, les cases obus en terre du Tchad et les tunnels de bambous géants du Mayombe.
Les 240. 000 tuiles vertes renvoient à la nature généreuse du milieu équatorial; celles en formes d’écailles de serpent évoquent, telles les gargouilles des cathédrales médiévales, le malin qui reste hors de l’église.
L’éclairage intérieur est zénithal, et se fait par l’arrête du toit où les tuiles de céramique sont remplacées par des pales de verre teintées. La superbe tribune qui avance loin dans la nef sans support vertical est ornée d’une balustrade en fer forgé réalisée par un artiste local qui s’est inspiré d’armes pré-coloniales.
Le suivi du chantier de cet édifice destiné à être le «sanctuaire souvenir de la France libre» est assuré par les pères Nicolas Moysan et Charles Lecomte.
Le 29 janvier 1944, à l’occasion de l’inauguration du stade Félix Éboué pendant la Conférence franco-africaine de Brazzaville, le général De Gaulle découvre le chantier et les fondations qui sortent de terre. Il se déclare enchanté et, le lendemain, promet au père Lecomte un don de 800.000 Francs1.
Le 31 mai 1944, les fondations sont certes terminées, mais elles ont englouti plus de 4.000 m3 de béton et de maçonnerie, vidant les moyens financiers dont dispose le père Lecomte. Il faut donc arrêter les travaux faute de ressources.
C’est en avril 1945 qu’un important don d’André Bayardelle successeur de Félix Éboué au poste de gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale Française, permet de reprendre les travaux et d’attaquer la superstructure.
Si la construction de la basilique bénéficia de la générosité d’illustres donateurs étrangers, tels le roi Mohamed V et l’empereur Hailé Sélassié 1er, il convient de rappeler l’inestimable participation des paroissiens de Poto-Poto à travers l’opération Pata pata.
Le père Charles Lecomte est le principal acteur et chef de chantier de l’édification de Sainte-Anne du Congo (ainsi que du stade du football construit en même temps) et de la récolte des fonds nécessaires auprès des paroissiens de la métropole. Il engage la jeune reporter Joëlle Danterne pour une vaste opération de communication en faveur du financement des travaux.
Le 26 mai 1946, jour de l’Ascension, Sainte-Anne d’Auray adopte solennellement Saint-Anne du Congo. Emmanuel Damongo-Dadet, conseiller de l’Union française délégué du Congo, et M. Ayoune, président de l’Union des jeunes de l’Afrique-Équatoriale Française, représentent l’Afrique Équatoriale Française. Mgr Quelven, supérieur de la Basilique et du Petit Séminaire, et l’abbé Gourron, directeur du Pèlerinage; apposent leurs signatures pour Sainte-Anne d’Auray.
Le 18 juin 1946, un comité pour l’édification de l’église Sainte-Anne du Congo est constitué sous la présidence du général Duchaussoy; son objectif est de garder le souvenir des pionniers de l’Afrique équatoriale française, et de la magnifique épopée de la France Libre. Il est décidé, à l’instigation du général Delange, que ce monument deviendrait le sanctuaire souvenir de l’Afrique équatoriale française, et que la flèche de la tour se terminerait par la Croix de Lorraine.
Le 1er novembre 1949, (la nef étant déjà recouverte de sa voûte), l’église (du moins cette première partie de l’édifice) qui deviendra basilique est consacrée avec la Messe des Piroguiers composée pour cette occasion par Paul Biéchy. Mgr Jean-Baptiste Fauret, vicaire apostolique de Pointe-Noire, Mgr Reggio, nonce apostolique de Kinshasa, Mgr Six, vicaire apostolique de Kinshasa, Bernard Cornut-Gentille le haut-commissaire ont honoré la célébration de leur présence.

La chorale Les Piroguiers du Congo

La petite chorale de Poto-Poto naît en 1936 à l’initiative de Claude Dacosta, ancien élève des Écoles chrétiennes de Kintambo à Kinshasa qui avait réuni quelques élèves de la mission de Poto-Poto pour animer les messes chantées. Cette chorale de Poto-Poto a fini par intègrel a maitrise de la cathédrale. En 1940, le Père Lecomte prend la direction de cette chorale qui devient la chorale des Petits Chanteurs à la Croix d’Ebène qui prend enfin l’appellation de Chorale des Piroguiers du Congo à l’issue de la messe solennelle d’ouverture de Sainte-Anne du Congo le 1er novembre 1949. La chorale Les Piroguiers du Congo a eu par la suite plusieurs dirigeants, les prêtres de la mission , mais on ne peut parler de cette chorale sans citer le nom d’Émile Oboa dont l’un des exploits reste d’avoir conduit les Piroguiers en France chanter Noël en 1959.

Le stade Éboue

Je rappelle la passion de Félix Éboué le sport et particulièrement pour le foot-ball. Dans l’esprit du Gouverneur général Félix Eboué, l’on ne pouvait concevoir la construction de l’église Sainte-Anne, c’est-à-dire le temple de la spiritualité sans lui adjoindre un autre temple destiné à la santé du corps. Cela explique que la construction du stade s’est fait concomitamment à l’édification du sanctuaire. Jérôme Ollandet évoque ainsi la fonction nationale de ce prestigieux et précieux espace de loisir :
« C’est là que le football avait véritablement pris pied au Congo- Brazzaville et donné aux deux rives du Congo, l’engouement que les populations portent à ce sport enivrant qui saoule autant les joueurs que les spectateurs. Au stade Félix Éboué, les chauds supporters et les indécis des différentes équipe de Brazzaville deviennent de grands adversaires, sans jamais devenir des ennemis. Là- bas, plus que dans les constitutions, la République est une et indivisible ! Lorsque le pays jouait au stade Félix Éboué contre une autre nation du monde, toute la ville de Brazzaville et tout le pays respiraient un air de communion inexplicable avec une joie qui passait d’un cœur à un autre de manière presque osmotique. Les victoires ou les défaites étaient vécues dans les familles comme des moments d’épanouissement ou de deuil. Chacun voulait avoir un fils ayant le nom (souvent le sobriquet) du meilleur marqueur de buts du jour.
Le stade Éboué, espace sportif, a été aussi une scène de l’histoire politique africaine. Inauguré le 29 janvier 1944 par le Général de Gaulle, en prélude à l’ouverture de la Conférence africaine de Brazzaville, c’est également là qu’en août 1958, en réponse au mot de bienvenue du Président Barthelemy Boganda, le Général de Gaulle y annonce le referendum constitutionnel, et la marche vers les indépendances ».
La prise en charge pastorale : les croisés de la Basilique Sainte-Anne
De sa conception à son exécution, le projet de la basilique Sainte-Anne a joui de la bonne volonté et de la sollicitude d’hommes et de femmes passionnés par le destin du majestueux lieu de culte. Un profond culte a été voué à cette prestigieuse réalisation par des hommes et des femmes qui, au fil su temps, ont acquis le statut de croisé dans l’accompagnement du destin de Sainte-Anne du Congo. On peut ainsi évoquer la création d’un comité de soutien de la Chorale des Piroguiers, la création d’un conseil paroissial et les activités du comité Sainte-Anne. C’est ici le lieu de rendre un hommage mérité à toutes ces femmes et à tous ces hommes pour la foi militante et active en faveur de Sainte-Anne. Je ne saurais les citer toutes et tous, plus passionné les uns que les autres pour la cause de Sainte-Anne. L’un des plus illustres, Félix Malekat nous a quittés tout récemment.
La basilique Sainte-Anne est Sainte-Anne du Congo. Je veux dire que ce monument occupe une place singulière prédominante dans le patrimoine culturel national, dans la conscience collective des Brazzavillois. C’est en cela que l’on peut se féliciter de l’intérêt et de la bienveillance que lui accordent les pouvoirs publics et surtout de l’implication personnelle du Président de la République Monsieur Denis Sassou N’guesso et de son épouse Antoinette Sassou N’guesso dans les opérations de sécurisation et de réhabilitation de l’édifice après les dégradations consécutives à la guerre civile de 1997. Le Président de la République s’est particulièrement impliqué dans le choix et la réalisation du clocher qui était resté longtemps inachevé, c’est-à-dire réduit à sa seule base. Le livre de Georges Mabona dresse la liste des donateurs qui ont participé généreusement à la restauration de notre basilique. L’auteur rappelle ainsi la contribution de la Première Dame gabonaise, Madame Édith-Lucie Bongo-Ondimba.
Nous ne devons pas oublier la sollicitude des Français à l’égard de cet édifice qui participe de leur histoire, car il s’agit dans cet illustre faisceau de symboles de Sainte-Anne, sanctuaire souvenir de la France libre.
Certes, une œuvre immense a été accomplie pour la restauration de la majestueuse basilique. Mais l’explosion du 4 mars 2012 ne l’a pas épargnée. La toiture a subi une forte dégradation qui requiert des travaux importants de réfection de l’étanchéité. Il faut, une fois de plus, sauver Sainte-Anne. La solidarité de tous et de chacun est d’une impérieuse urgence pour que Sainte-Anne, Koko Wa biso continue d’abriter et de protéger notre ferveur dans la parfaite sereine. Je voudrais clore cet appel par une exhortation à jeter un coup d’œil du côté du stade Félix Éboué qui mérite aussi notre attention devant l’histoire. Un peuple n’est grand qu’à la hauteur de l’intérêt qu’il accorde à son histoire, qu’à l’aune de l’investissement de son passé dans le présent.

Professeur André-Patient BOKIBA