Nous l’avons déjà déploré sur cet espace: l’événement qu’une bonne partie de l’humanité s’apprête à célébrer ce samedi 1er mai est très mal nommé. Dans le contexte de grisaille du Congo, le 1er mai, Fête de Saint Joseph travailleur, n’est pas à proprement parler la fête du Travail. Alors qu’un nouveau mandat s’ouvre pour le Président de la République, il faut espérer que le travail sera effectivement fêté dans les années qui viennent.
Car pour l’heure, dans un paysage social délabré et marqué par des grèves et des débraillages et menaces de sit-in par-ci et par-là, notamment dans l’enseignement, il serait indécent pour le moins d’invoquer un quelconque esprit de fête. Ni fête, ni travail pour l’heure. Mais on pense que quelques téméraires voudront perpétuer la tradition de la libation débridée après le défilé. Se saouler peut aussi être un signe. Ou un symptôme.
Tout le monde aujourd’hui a le regard tourné vers le Président de la République. Il est le maître des horloges. Il a remporté la dernière élection. On aura beau railler son envieux score à la soviétique et les 100% de voix remportés dans plus des dizaines de localités, il n’en reste pas moins que c’est lui qui va incarner l’espérance pour les cinq prochaines années à venir.
Et cette espérance passera forcément par le souhait de plus de travail pour des jeunes sans bourses et sans perspectives. Ou, au moins, par le respect de l’épargne de ceux qui ont travaillé et qui aspirent aujourd’hui à aller toucher leur pension régulièrement à date établie. Fêter le travail quand il n’y en a pas, c’est s’offrir des gueules de bois à moindre frais, car sans cause. Même l’instant de griserie se transformera bien vite en mimique, car le lendemain sera identique à la veille.
Donc, répétons-le, le mandat du Président de la République sera marqué par la réponse au défi premier du travail. Pour les milliers de jeunes qui attendent, espèrent ou se désespèrent, sébile en main, d’avoir à affronter le monde sec que nous leur léguons. Beaucoup de diplômés, devenus des pousseurs de brouettes, des vendeurs de brochettes au coin de la rue, ou des crieurs aux arrêts de bus. Une enquête rapide révèle qu’on a affaire à des licenciés, des possesseurs de Master devenus chauffeurs de taxi ou sentinelles.
Une société qui se dévalorise ainsi et ne laisse de porte d’espoir que dans les gangs des jeunes ou des prédateurs des biens publics chez l’adulte est une société qui étouffe en elle l’éventualité d’une explosion. Elle cherchera le moindre prétexte pour s’exprimer. Cette société se fera même moins tolérante devant les situations qu’elle tolère en «temps normal». L’eau qui ne coule plus dans les robinets, le délestage qui empêche de suivre son match, ou bien avoir à payer pour participer à un concours ou en connaître le résultat etc…
Nous montrons une certaine impatience à vite voir la formation du nouveau gouvernement. C’est courir vers une autre source de frustration et d’exaspération sûre. Car les cinq millions de Congolais que nous sommes ne pourront pas se transformer en 5 millions de ministres. Outre que nous ne serions pas bien avisés en enrichissant d’un seul coup les sociétés japonaises fabriquant les limousines de fonction, nous ne pouvons oublier que nous avons des préalables à liquider. Le travail, oui, mais aussi notre dette que les analystes s’entêtent, on ne sait pourquoi, à qualifier d’insoutenable.
Albert S. MIANZOUKOUTA