«Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme?» Tous les trois évangiles synoptiques s’arrêtent sur cette question posée par Jésus à ses disciples. Nous nous trouvons face à l’un des tournants les plus importants pour la révélation de l’identité de Jésus et de la mission de ses disciples.
Au début, la question se penche sur l’opinion des gens, les disciples étant invités à la prendre en considération. En effet ils sont prêts à répondre, en montrant d’avoir déjà fait attention à ce qu’on dit autour d’eux sur l’identité de leur Maître. Les gens d’Israël aperçoivent sans doute en Jésus une présence extraordinaire de l’action de Dieu dans son peuple, mais ils n’arrivent pas à trouver un modèle de comparaison précis parmi les prophètes les plus grands de leur histoire. A leurs yeux, dans la figure de Jésus il y a bien sûr quelque chose de Jérémie, d’Isaïe, de Jean le Baptiste, mais aucun des grands prophètes ne semble contenir toutes les singularités de grâce, de puissance, d’autorité, de vérité que Jésus peut manifester. Et alors, pour tenter de décrire Jésus, ils essayent de mettre ensemble tous ces grands noms, mais lui, il reste encore bien au-delà de tout ce qu’ils arrivent à exprimer.
Et pourtant, Jésus encourage ses disciples à se mettre à l’écoute de la pensée des gens. Pourquoi? Est-il soucieux de faire une sorte de sondage d’opinion? Voudrait-il perfectionner avec ses disciples une stratégie de communication massive, pour mieux intercepter les attentes et la sensibilité du peuple? Rien de tout ça, évidemment. Tout d’abord Jésus pousse ses disciples à assumer leur responsabilité. Eux, les disciples, ne sont pas «la foule»: les foules parfois demeurent dans leur vague populaire d’incertitude; mais eux, les disciples, ils ont la responsabilité de reconnaître et de témoigner non pas une opinion sur Jésus, mais la vérité autour de son identité. Et la vérité sur Jésus ne découle pas de la somme des opinions les plus communes. La vérité sur Jésus n’est pas le résultat de la formation d’un consensus populaire. Ni ailleurs, ni aujourd’hui, ni jamais.
Même dans notre contemporanéité, nous les disciples de Jésus nous devons faire beaucoup d’attention à ne pas brader l’identité de Jésus dans le grand marché des opinions, des idées, des préférences. Oui, il est très important que nous écoutions tout ce qu’on pense dans le monde autour de Jésus, de Dieu, de la vie, des grandes valeurs, de la morale, de l’humanité… Savoir écouter, savoir dialoguer, pour apprendre aussi, bien sûr… Mais dans ce grand réseau des idées, des illusions et des vérités, nous avons la responsabilité d’y témoigner avec certitude la foi de Jésus que nous avons reçue, la vérité qui est venue à notre rencontre dans l’histoire, la conscience de l’identité du Fils de Dieu, Celui qui s’est fait homme, est mort et est ressuscité. C’est la conscience qui appartient au sens de la foi du Peuple de Dieu entier, et dont nous sommes les témoins. Et ce sens de la foi est bien différent de l’opinion de la majorité. C’est un don de Dieu, confié à l’Eglise.
Et c’est justement cela, que Jésus va faire comprendre à ses disciples. C’est à eux, qu’il adresse finalement sa question: «Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?». Il suscite ainsi la réponse de Pierre: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant!». Pour parvenir à cette clarification fondamentale: «Heureux es-tu, Simon fils de Yonas: ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux». Ainsi, Pierre a donné une réponse que lui-même n’est pas capable de soutenir. Ce n’est pas par ses capacités humaines qu’il a pu répondre; par ses études, ou par ses raisonnements non plus. L’identité du Christ est une révélation qui lui a été confiée par Dieu le Père. Et lui, Pierre, il sera le fondement de l’unité de l’Eglise entière dans cette foi.
C’est dans cette foi, que nous existons, que nous sommes nous-mêmes. C’est notre identité. Nous ne construisons pas notre foi sur la base de nos préférences, nos idéologies ou nos convictions. Nous la recevons, et nous la vivons, la partageons, la témoignons. Tout en écoutant, en dialoguant, en vivant avec les hommes et les femmes de notre temps.

P. Francesco BRANCACCIO