Nous étions véritablement les héros hors-pairs car, pendant que nous nous trouvions au Cameroun en février 1972, le coup d’Etat du M22 avait éclaté à Brazzaville. Des parents, des amis et des copains étaient arrêtés. Notre Chef de délégation, feu Jean Moundélé, avait son cadet Benoît Moundélé Ngollo impliqué dans ces événements. On allait voir notre chef dans sa chambre, il avait la tête entre les deux mains, complètement effondré, silencieux pensant à son frère dont il ne pouvait deviner le sort.
On se demandait si on allait poursuivre le tournoi ou rentrer au pays. Mais on pensait à notre pays et on voulait défendre ses couleurs. Il fallait se concentrer et rester unis pour jouer le 25 février contre le Maroc. Vous pouvez comprendre dans quel état d’esprit nous étions lors de la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations au Cameroun ?
Le 27 février, nous affrontons les Léopards du Zaïre. Nous sommes battus 2 buts à 0. Cette défaite n’entame pas du tout notre moral et notre détermination, bien au contraire, nous sommes décidés à relever le défi et à faire mentir les pronostics qui nous qualifiaient de ‘’touristes’’.
Mais au lendemain de cette défaite, nous recevons un télégramme de Pierre Nzé, membre du Bureau politique, qui nous intime l’ordre d’arrêter la compétition et de rentrer à Brazzaville.
Très sportivement, nous décidons de prendre nos responsabilités et de poursuivre le tournoi en assumant tous les risques. Nous avions l’intime conviction que nous avions des ressources pour nous en sortir. On avait tous conscience de la gravité de la situation et nous voulions continuer l’aventure. On était ensemble, groupés et décidés à nous extraire de cette mauvaise passe. A ce moment-là, l’intérêt collectif primait sur les intérêts personnels. Il fallait sauver l’équipe et, par extension, penser à l’honneur du pays.
Quand le 5 mars 1972, le Congo a triomphé du Mali (3-2) en finale à Yaoundé, c’était du délire, une joie contagieuse sous forme de mouvement ordonné des foules avec danses, chants, cris.
A notre retour, nous nous en souvenons, le toit de l’aéroport Maya-Maya a plié sous le poids de ceux-là qui tenaient à être mieux placés pour nous voir. C’était la fête dans son acception la plus noble. Tout le Congo était debout et fier. On avait, du coup, oublié que quelques jours auparavant, le 22 février précisément, le lieutenant Ange Diawara avait tenté de s’emparer du pouvoir. Notre triomphe avait suffi pour cicatriser des plaies générées par ces luttes militaro-politiques du moment. C’était un exploit qui avait bouleversé l’âme et le cœur du Congo.
En gagnant la Coupe d’Afrique des Nations, nous sommes entrés dans la légende du football congolais et africain. Cette victoire devait servir de leçon. Elle a montré que quand une équipe est soudée, elle est forte. Nous avons démontré qu’avec du volontarisme, nous pouvions y arriver.
Gagner la Coupe d’Afrique des Nations est un privilège dont peu de pays ont connu la joie. C’est véritablement un moment rare de bonheur et d’émotions. Des pays comme le Mali, le Sénégal et la Guinée-Conakry dont le talent n’est plus à démontrer, n’ont pas encore remporté ce prestigieux trophée. Sur 54 pays, 14 seulement jusqu’à ce jour ont remporté la Coupe d’Afrique des Nations : Egypte, Ethiopie, Cameroun, Ghana, Nigeria, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud, RD Congo, Soudan, Zambie, Tunisie, Maroc, Congo-Brazzaville et Algérie.
Les champions d’Afrique 72 méritent d’être considérés comme des héros hors-pairs. Comment pouvait-on se concentrer sur la Coupe et gagner alors qu’à Brazzaville, il y avait un coup d’Etat, avec les drames que l’on sait ? Le fait d’avoir gagné et ramené la Coupe avait atténué et décanté beaucoup de choses. Néanmoins, nous aurions bénéficié de circonstances atténuantes si nous avions perdu cette coupe.
Mais lorsque nous sommes rentrés à Brazzaville, accueillis comme des héros par le peuple congolais et reçu les hommages du Président Marien Ngouabi, nous avons réalisé que cet enthousiasme avait eu pour effet de réconcilier le peuple congolais. C’était le 7 mars 1972. Ce jour historique, le Président Marien Ngouabi nous a déclaré : « Le peuple congolais est fier de vous. Vous lui avez donné un immense bonheur et aussi une immense fierté ».
Après un tel éloge, nous étions convaincus que nous étions véritablement des héros.
Personne ne pouvait oublier les dividendes que le Congo a eu à en tirer sur le plan des lauriers et de la renommée internationale. Porter une étoile africaine à la poitrine, ce n’est pas facile. Les Diables-Rouges 72 en savent quelque chose. Ils seront toujours fiers de la porter.
Yaoundé 72, les gens s’en souviennent. Lorsque l’un de nous est dans une file d’attente, il se trouve toujours quelqu’un pour le saluer et lui dire gentiment : «Passez, vous n’allez tout de même pas faire la queue!». Et puis, au restaurant, dans la rue, nous rencontrons des Congolais, ils nous remercient encore pour l’exploit que nous avons réalisé.
La constance de cette reconnaissance nous étonne toujours. Le 5 mars 2022, la victoire des Diables-Rouges à Yaoundé aura 50 ans ! Eh oui 50 ans ! Les champions d’Afrique 72 longtemps oubliés peuvent-ils enfin être récompensés?
La reconnaissance est un devoir que les ingrats manquent souvent à l’égard de leur bienfaiteur.
Le football, dans la pureté de son expression, a été leur essence. Ils l’ont vécu, ils l’ont senti, ils en sont aujourd’hui de vrais passionnés. A travers cette passion liée au devoir de défendre leurs couleurs et leur nation, la plupart de ces anciens étaient véritablement devenus des patriotes engagés ; certes ils se sentaient, par leur célébrité, des privilégiés bénéficiant de toutes sortes de faveurs, mais ignorant inconsciemment la précarité financière de leur avantage et la nécessité de préparer les batailles et la nécessité de prépare leur après-football. Plus explicitement, aveuglés par les succès d’un temps passé, ils ont oublié de préparer les batailles des jours à venir. Mais il y a aussi eu un manque de volonté dans notre politique sportive pour préparer des plateformes pour la retraite des sportifs. Ce qui n’est pas le cas dans biens de pays voisins.
-Au Cameroun par exemple, les vaillants Lions indomptables d’Italie 90, longtemps oubliés ont été enfin récompensés. « Arrivés en quarts de finale de la Coupe du monde de football Italie 90, la première sélection africaine qui a atteint ce cap était dans les oubliettes. 30 ans après, les 22 acteurs de cette épopée sportive menés par le regretté capitaine Stephen Tataw, avec pour entraîneur le Soviétique Valeri Nepomniachi, longtemps dans les oubliettes, ont été honorés le 8 août 2020. Le Président Paul Biya a octroyé des logements aux 22 acteurs de l’épopée camerounaise dans l’histoire de la Coupe du monde ». Pour les trois joueurs décédés, à savoir Stephen Tataw, Louis Paul Mfédé et Benjamin Massing, une procédure va désigner les ayants-droit. (Journal L’horizon africain)
-En Côte d’Ivoire, après la victoire des Eléphants à la CAN 2015, une villa et 30 millions de francs CFA à chaque joueur : « Après leur avoir réservé un accueil triomphal, les Eléphants ont été reçus mardi 10 février 2015 au Palais présidentiel, où le Président de la République Alassane Dramane Ouattara a offert à chacun d’eux une villa d’une valeur de 30 millions de francs CFA et une somme de 30 millions de francs CFA également, soit un total de 60 millions de francs CFA à chaque joueur » (Journal Le Troubadour n°66 du mardi 17 février 2015).
-Au Brésil, le 12 octobre 2012, le Président Lula a octroyé primes et retraites spéciales aux vainqueurs des coupes du monde 1958, 1962 et 1970. Primes et retraites aux joueurs titulaires comme aux remplaçants lors de ces trois Mondiaux ou à leurs héritiers légaux.
Les Diables-Rouges longtemps oubliés méritent d’être récompensés, car la plupart des champions d’Afrique 72 vivent presque dans la précarité.
Le footballeur qui raccroche ne doit pas devenir oisif. Et qui dit oisiveté, dit mendicité. Il faut faire disparaître à jamais l’image du footballeur soulard, parasite ou mendiant. Que lorsqu’ils ont réalisé des prouesses on le rappelle souvent.

Indicatif des champions d’Afrique 72

A-En vie (14) : 1-Jean Bertrand Baleckita ‘’Zézée’’. 2-Jonas Bagamboula-Mbemba ‘’Tostao’’. 3-Gabriel Ndengaki. 4.Félix Foutou. 5-Joseph Matongo ‘’Secousse’’. 6-Jean-Michel Mbono ‘’Sorcier’’. 7.Emmanuel Mboungou. 8-Noël Minga Tchibinda ‘’Pépé’’. 9- François M’Pelé. 10-Jacques Yvon Ndolou. 11-Augustin Ndouli ‘’Ryno’’. 12-Paul Tandou. 13-Gilbert Poati ‘’Hidalgo’’. 14- Désiré Mayala ‘’Larbi’’ (entraîneur).
B-Décédés (11) : 1-Paul Mbemba ‘’Thorex’’. 2-Michel Ongagna ‘’Excellent’’. 3-Paul Moukila ‘’Sayal’’. 4-Alphonse Niangou ‘’Yaoundé’’. 5-Maxime Matsima. 6-Adolphe Bibanzoulou ‘’Amoyen’’. 7-Joseph Ngassaki ‘’Zeus’’. 8-Michel Oba (Directeur technique). 9-Serge Samuel Boukaka. 10-Emmanuel Mayanda ‘’Combattant’’. 11-Gabriel Samba ‘’Njoléa’’.