Mondialement connu pour son œuvre littéraire, plusieurs fois primée à travers le monde, Jean-Baptiste TATI LOUTARD est le ministre des Hydrocarbures du Congo Brazzaville, de 1997 à 2009.
Paradoxalement à sa grande réputation d’homme de lettres, il est celui, qui est resté le plus longtemps, au poste hautement stratégique et très convoité de ministre des Hydrocarbures du Congo. Il a marqué de son empreinte son passage à ce poste; avec des résultats très probants. Témoignage.
La nomination de Jean-Baptiste Tati Loutard à la tête du ministère des Hydrocarbures, en novembre 1997, suscite un étonnement général dans l’opinion publique, plus particulièrement dans les milieux pétroliers. Personne ne comprend la décision du Président de la République. Cette nomination est d’autant plus étonnante qu’elle intervient dans un contexte très particulier pour le Congo: la fin de la guerre civile. Toute l’administration est détruite, et rien ne fonctionne normalement. Cependant, le Président seul maîtrise les conséquences de son choix. L’histoire finit par lui donner raison.
En 1997, le ministère des Hydrocarbures est mis à sac, les portes et fenêtres sont défoncées, les armoires éventrées, les ordinateurs pillés et les dossiers du pétrole congolais simplement déchirés. Malgré cela, l’activité pétrolière ne s’arrête pas, la production continue et les tankers sont régulièrement chargés aux terminaux pétroliers de Djéno et Nkossa. C’est dans ce contexte apocalyptique que Jean- Baptiste TATI LOUTARD hérite du ministère des Hydrocarbures. Très vite, se pose le problème du suivi régulier par l’administration de cette importante activité du Pays. La complexité de la tâche est grande car, tout est à reconstruire. Pour permettre rapidement un fonctionnement normal de son administration, le ministre se rapproche des sociétés pétrolières, afin de reconstituer la bibliothèque des dossiers pétroliers. La réticence de leur part est grande, car beaucoup de dossiers sont «confidentiels». Le travail de reconstruction se réalise difficilement, car, beaucoup de dossiers importants restent introuvables.
Avec beaucoup de méthode et de patience, le ministre conduit néanmoins cette tâche jusqu’à son terme.
Le nouveau code des hydrocarbures, instituant le contrat de partage de production, qui est adopté en août 1994, connaît une mise en œuvre délicate. Cela, à cause de l’insuffisance de compétence des cadres congolais, chargés des négociations et du suivi. Les difficultés d’évaluation de l’assiette fiscale, servant au partage de la rente pétrolière en régime de concession, et qui ont probablement conduit au choix d’un nouveau type de contrat, se retrouvent, de façon plus subtile, dans les contrats de partage de production. En effet, l’évaluation des «coûts pétroliers récupérables», qui servent au remboursement de toutes les dépenses encourues par les sociétés pétrolières, dans le cadre de leurs activités, nécessite une grande expertise. Les conséquences de cette évaluation sont étrangement semblables à celles de l’assiette fiscale pour le partage de la rente, d’une part.
D’autre part, lors de la transformation des anciens contrats de concession en contrats de partage de production, des contradictions avec la nouvelle loi sont générées. La redevance qui est fixée à 15 % de la production, dans le nouveau code, n’est que de 12% dans ces contrats. Les bonus de signature prévus non-récupérables sont récupérables.
Le redressement des anomalies constatées s’avère obligatoire, mais difficile, car tout contrat de partage de production est aussi une loi, au même titre que le code. Malgré cela, le ministre s’attelle, progressivement, à la mise en conformité avec le nouveau code, de tous les contrats de partage de production.
Entre-temps, la société Hydro-Congo connaît des difficultés multiples. Les missions principales de l’entreprise ne sont plus réalisées. Devant ce constat amer, le Gouvernement décide de sa dissolution. Le ministre est chargé de la création d’une nouvelle société nationale dans le secteur des hydrocarbures. Le 23 avril 1998, moins d’un an après sa nomination, la Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC) est créée et placée sous sa tutelle.
Dans cette même période, le Congo rencontre d’énormes problèmes dans l’approvisionnement en produits pétroliers finis. Les stations d’essence sont sèches. La raffinerie nationale (CORAF) est à l’arrêt depuis 1996, faute d’argent pour une grande visite technique.
Des nombreuses pénuries en produits sont observées sur l’ensemble du territoire: elles paralysent énormément une grande partie de l’économie nationale. Face à cette problématique, le ministre inscrit, en priorité, la remise en service de la raffinerie nationale. Très rapidement, la raffinerie est redémarrée, au grand soulagement des populations.
A son arrivée au ministère des Hydrocarbures, Jean-Baptiste TATI LOUTARD, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et professeur de son état, se rend vite compte du niveau insuffisant des travailleurs de son département. Cela, dans la réalisation des missions du ministère. Les cadres congolais ont du mal à défendre les positions de la République, face à des sociétés pétrolières, avec un personnel plus aguerri. Le passage au contrat de partage de production aggrave davantage la situation car, plusieurs lacunes sont observées lors des négociations. Pour lui, le professeur, la formation du personnel devient une préoccupation majeure. Il exige et obtient des sociétés pétrolières, la gestion, par son ministère, du budget alloué à la formation. Une commission chargée de l’évaluation des besoins de formation du personnel, et du suivi des différentes actions, est mise en place au sein du ministère. Les résultats de ce travail sont rapidement perceptibles.
Très vite, les cadres congolais maîtrisent, de mieux en mieux, les subtilités des contrats, les calculs économiques et le suivi des coûts pétroliers récupérables. Les négociations avec les partenaires deviennent plus équilibrées.
Finalement, plusieurs pays africains reconnaissent, progressivement, la notoriété du Congo dans le domaine des hydrocarbures. Pour cela, un séminaire international de formation, avec pour thème: «L’évaluation et le suivi des coûts pétroliers récupérables dans les contrats de partage de production», est organisé à Brazzaville, en 2007. Il est animé exclusivement par les cadres du ministère. Ce séminaire est un succès, car il connaît la participation des cadres pétroliers du Togo, du Bénin, de la RDC, du Congo et du Gabon. Cette nouvelle pratique de la formation par le ministre, très appréciée par tout le personnel du ministère, est appliquée jusqu’en 2009.
Pendant longtemps, les frontières maritimes ne présentent pas d’intérêt pétrolier majeur pour le Congo et ses voisins. Dans les années quatre-vingt-dix, plusieurs découvertes importantes d’hydrocarbures sont faites le long de la frontière maritime Congo/Angola.
Devant cette nouvelle donnée pétrolière, chaque Etat cherche alors à définir sa frontière maritime. Malheureusement, les deux tracés de cette frontière commune ne se superposent pas.
En 1998, le Congo et l’Angola entament des discussions pour cette frontière. Jean-Baptiste TATI LOUTARD est désigné par le Gouvernement, pour présider la commission congolaise aux négociations. Le tracé des frontières, souvent dicté par les intérêts stratégiques et économiques des Etats, entraîne beaucoup de difficultés dans l’aboutissement des négociations. Le long de cette frontière maritime, plusieurs puissantes multinationales pétrolières sont aussi présentes. D’où la complexité du problème.
Le règlement de cette question de frontière devient politique car, le pétrole représente la principale source de revenus de ces deux pays. Les Etats décident alors, de la création d’une Zone d’intérêt commun (ZIC), avec un partage équitable des ressources pétrolières. A cet effet, un Organe Inter Etatique chargé de la gestion de cette zone est créé. Cet organe est présidé alternativement par le ministre des Hydrocarbures du Congo, et par celui du pétrole de l’Angola. Le champ de Lianzi qui en découle est développé et mis en production le 24 octobre 2015 par la société Chevron Overseas Congo. Cette façon de procéder par le Congo et l’Angola, saluée par la communauté internationale, est souvent citée en exemple pour le règlement des conflits de ce genre.
Depuis toujours, le gaz produit avec le pétrole est considéré comme un sous-produit. D’où une valorisation embryonnaire de celui-ci. Avec l’augmentation de la production du pétrole, les quantités brûlées de gaz deviennent de plus en plus importantes. Devant cette situation de paradoxe économique et environnemental, le ministre décide d’organiser une nouvelle table ronde sur la valorisation du gaz congolais. De cette table ronde, plusieurs résolutions sont prises, parmi les plus importantes:
-la création d’un cadre juridique et réglementaire fixant les règles relatives à l’utilisation et la valorisation du gaz, préalable à la naissance d’une véritable industrie du gaz;
-la construction d’une centrale électrique à gaz de grande capacité, environ 900 MW de puissance installée. Par la suite, cette centrale est construite à Pointe-Noire (C.E.C) et mise en service en mars 2010. Actuellement, elle produit environ 75 % de toute l’électricité du Congo ;
-la réhabilitation complète de la ligne électrique très haute tension Pointe-Noire/ Brazzaville. Depuis 2011, elle permet d’alimenter la ville de Brazzaville en électricité, à partir de la ville océane.
Toutes ces actions entreprises par le ministre ont permis, d’amorcer une véritable valorisation du gaz congolais. Cela, avec des impacts économiques, sociaux et environnementaux positifs.
La loi 6-2001 du 19 octobre 2001, organisant entre autres, les activités de distribution et de commercialisation des produits pétroliers finis, proposée par le ministre, est adoptée. Sa mise en œuvre est accélérée avec l’élaboration de tous ses textes d’application. Ainsi, un climat propice aux affaires est créé, pour la privatisation du secteur de l’aval pétrolier, souvent repoussée. Les résultats ne se font pas attendre. Beaucoup de sociétés étrangères sollicitent et obtiennent les agréments d’exercice. Très vite, toutes les grandes villes du pays rivalisent de beauté avec l’érection, partout, de stations d’essence, belles et modernes. Tout le Pays est enfin desservi. Les pénuries de produits pétroliers deviennent rares.
Au-delà des tâches de routine d’un ministre des Hydrocarbures, Jean-Baptiste TATI LOUTARD a réalisé des actions exceptionnelles, marquant de façon durable l’activité pétrolière du Congo. Avec les douze ans passés à la tête du département, et douze ans après sa disparition, son œuvre pétrolière suscite encore, respect et admiration. Pour cela, il est certainement plus facile de lui succéder, que de le remplacer. Bravo, Maître !