La promulgation de la loi 2-2025 du 29 mars 2025 constitue certainement le fait le plus marquant pour la profession d’huissier de justice depuis sa libéralisation en 1992. On comprend dès lors la satisfaction et le soulagement des membres de la corporation et, a fortiori, de ceux qui ont été la cheville ouvrière de ce changement et à qui nous ne pouvons qu’exprimer notre gratitude. La loi précédente, de par son laconisme, son anachronisme et son imprécision, donnait à la profession l’allure d’une œuvre cantonnée, inachevée, voire imparfaite. Cependant, ces changements, quoique bien marqués, laissent des zones d’ombre qui auraient dues être prises en considération. Lorsqu’on sait le rythme et la vitesse de l’évolution législative congolaise, on peut aisément dire que l’adoption de cette nouvelle loi a été une occasion rare et inespérée qui aurait pu permettre de faire progresser la profession à bien des égards et la poser définitivement dans l’orbite du futur.
UNE SIMPLE MISE À NIVEAU
Comparée à la loi ancienne, est bien malin celui qui ne voudrait pas constater les progrès réalisés permettant désormais à l’huissier de justice d’être reconnu de jure comme un officier public. Ce qui l’était déjà de facto et ainsi, de lui conférer respect et considération au sein de l’espace des professions libérales du droit. Telle est le point de vue de l’excellent Lionel Kalina Menga (1) du Barreau de Pointe-Noire qui affirme que: «Dans l’ancienne législation, l’huissier de justice était, avant tout, un auxiliaire de justice chargé de signifier les actes, de procéder aux constats et d’assurer l’exécution forcée des décisions de justice. Sa mission, bien que cruciale, était perçue comme étroite, limitée à une fonction d’exécutant. La loi de 2025 change radicalement de perspective, elle consacre l’huissier comme un professionnel investi d’une mission de service public et dont les actes ont force probante renforcée.»
Prenons le contre-pied de cette opinion quasi unanime, nous considérons qu’il ne s’agit point d’un mouvement de plaques tectoniques, mais d’un rattrapage ou mieux, d’une mise à niveau. A bien y voir, ces nouvelles dispositions relevaient déjà dans les faits de l’escarcelle de l’huissier de justice. Autrement dit, bien que ne figurant pas in extenso dans l’ancienne loi, ces attributions étaient déjà régulièrement accomplies. Il en va ainsi de la possibilité de rédiger les actes introductifs d’instances. Nous devons, dans ce contexte, souligner le grand décalage entre la loi de 1992 et l’Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution, notamment en ses articles 9 alinéa 2, 48 et 170 alinéa 2. On pourrait, en outre, citer la prise et la vente aux enchères des meubles, la gestion immobilière, la consultation et le conseil juridique ainsi que le séquestre qui sont autant de compétences qui étaient déjà dans les faits dévolus à l’huissier de justice. Il en va de même pour l’affirmation de l’inviolabilité des offices, l’insaisissabilité des comptes bancaires professionnels et la présence d’une autorité ordinale en cas d’arrestation qui devaient déjà aller de soi, en rapport avec la nature même du métier. Telle fut d’ailleurs la position soutenue par le Gouvernement à la lumière de cet extrait de la note de présentation du Garde des Sceaux, Ministre de la justice, des Droits Humains et de la Promotion des Peuples Autochtones, Aimé Ange Wilfrid Bininga, porteur de cette réforme, indiquant clairement que le nouveau texte vise à «doter le pays d’un nouveau cadre juridique pour la profession d’huissier de justice. Le texte introduit des nouveautés apparues depuis telles que les aspects du droit OHADA et les meilleures pratiques professionnelles non incluses auparavant» (2).
Au-delà de l’euphorie et la fierté unanime, force est de constater combien la profession d’huissier de justice aurait pu, grâce à une conjonction astrale favorable, prendre le pari du véritable changement. Lorsqu’on sait que par sa vitesse et son rythme, l’évolution législative congolaise relève de l’embranchement des mollusques, on pourrait, sans risque, parler d’un rendez-vous manqué (3).
Voici, à notre humble avis et de manière non exhaustive, quelques préoccupations qui devaient être prises en compte ainsi que celles, bien que figurant dans la loi, ont tout l’air de chantiers inachevés.
I-CE QUE LA NOUVELLE LOI AURAIT DÛ INTÉGRER
1-Le changement de l’appellation «huissier de justice».
Le changement de cette désignation aurait pu être un pas audacieux de nature à justifier une véritable rupture avec le passé. L’huissier de justice est le seul des trois principaux professionnels libéraux du droit à se distinguer par une appellation en forme de phrase nominale. Or, selon le Dictionnaire de l’Académie Française (4), «les phrases nominales servent à insister sur un détail ou à donner une précision». C’est parce que «huissier» est nom commun partagé avec d’autres professions qui n’ont rien à voir avec le microcosme juridico-judiciaire que le complément «justice» s’ajoute comme pour faire un distinguo. Le changement de cette appellation devait pourtant suivre l’évolution naturelle des choses et marquer un cap nouveau ainsi que cela se passe déjà sous d’autres cieux qui partagent avec notre pays la même tradition juridique (5).
2-La pénibilité du métier
Être huissier de justice exige endurance physique, vivacité d’esprit, courage et perspicacité. Ce qui ne convient pas avec un grand âge caractérisé par la vulnérabilité, la sénescence et la sénilité. La perte d’aptitudes avec le temps conduit inéluctablement à la commission d’erreurs de jugement et de fautes préjudiciables pour le justiciable et l’huissier de justice lui-même. Le spectacle désolant et indécent de nos regrettés confrères septuagénaires, voire nonagénaires, obligés de se présenter devant les commissariats de police, les brigades de gendarmerie ou les cabinets d’instruction est à bannir. Une retraite imposée et fixée à 75 ans, par exemple, aurait pu être une bonne avancée dans ce contexte.
3-Le progrès scientifique et technologique
Comme le disait Aristote: «Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous». Lorsque nous parlons de l’évolution de la science et de la technologie, nous faisons naturellement allusion à l’automatisation, la dématérialisation, la réduction de la fracture numérique et à l’intelligence artificielle. Il est curieux que les impacts des systèmes d’information, du numérique et de l’intelligence artificielle sur la profession n’ont pas été pris en considération. Cette nécessité ne réside pas que dans les facilitations qu’elles apportent dans l’exercice du métier, mais surtout, dans l’opportunité de l’élargissement du champ de compétence de l’huissier de justice qu’elles offrent.
Nous voyons, de nos jours, combien une portion importante des rapports sociaux et de l’activité économique se réalise au travers des nouvelles technologies de l’information et de la communication. La constatation d’infractions par le virtuel, par exemple, est de nature à donner une compétence plus large en matière pénale à l’huissier de justice dans le cadre de la recherche et de la conservation de la preuve. La garantie des droits et intérêts des parties dans la sphère de l’économie numérique permet, elle aussi, de nos jours, à l’huissier de justice d’être le dépositaire des preuves de l’invention et de l’innovation. Sans oublier la lutte contre le plagiat, la contrefaçon, la collecte, la certification et la protection des données, en rapport avec les startups et les individus. Autant de débouchés pour lesquels la nouvelle loi a omis de faire un clin d’œil.
4-Le faible renforcement du standing moral et éthique de l’huissier de justice
La nouvelle loi aurait pu être une occasion, pour le législateur, de prendre à bras le corps les obligations éthiques et déontologiques de l’huissier de justice. Certes qu’un effort notable a été réalisé dans le renforcement des obligations de l’huissier de justice au moyen de la pénalisation et de la sanction disciplinaire accrues, cependant, le tout répressif a toujours montré ses limites. Nous pensons que pour une profession qui appelle à l’honneur et à la dignité, l’éthique et la déontologie doivent jouer un rôle primordial. Il est curieux que la nouvelle loi n’ait pas rendu obligatoire l’adoption d’un code de déontologie professionnelle de l’huissier de justice. Ce qui aurait eu pour avantage de renforcer son standing moral, de garantir la protection du justiciable et de préserver les relations confraternelles apaisées, basées sur la probité et la loyauté, mais bien plus, d’inciter l’huissier de justice à une véritable prise de conscience citoyenne.
Le renforcement de la gestion des organes internes par la transparence dans le maniement des ressources et dans le choix des priorités aurait, quant à lui, conduit à l’introduction dans la nouvelle loi d’une obligation de séparation de l’ordonnateur du comptable et à l’adoption d’un règlement financier.
II.LES CHANTIERS INACHEVÉS
Dans ce second volet, nous examinons ce qui, aux termes de la loi nouvelle, constitue une série d’innovations, mais qui risquent d’être des goulots d’étranglements tant elles contiennent les germes de futurs blocages. Il en va ainsi de l’introduction de la cléricature. Cette belle opportunité de baisser la surchauffe liée à la pléthore, tout en permettant à l’huissier de justice d’être entouré de collaborateurs stables ayant un statut professionnel garanti, a été compromise par le fait de permettre à quiconque ayant à peine un baccalauréat d’y accéder. Un niveau universitaire Bac+2 ou Licence aurait pu être avantageux pour des raisons bien évidentes. Quid des autres critères pouvant permettre aux huissiers de justice de sélectionner et recruter les meilleurs candidats ? Les règles de leurs rémunérations, de leur cessation d’activités constituent autant de points à éclaircir.
L’introduction d’une grille tarifaire dégressive est-elle aussi une bonne évolution? Mais là encore, aucun barème et aucun seuil en rapport avec l’évolution du pouvoir d’achat n’a été déterminé. L’absence d’un mécanisme d’application risque d’être, à court terme, une source de contradictions et de contentieux.
Mais par-dessus tout, le grand absent de toute cette énumération est la formation et le renforcement du standing intellectuel de l’huissier de justice. La mise en place d’une école de formation ou l’ouverture d’une filière dédiée à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature ne pouvait être ignorée.
En définitive, nous pensons que de par son importance dans le fonctionnement des appareils économique et judiciaire (6), de par son rôle historique dans la garantie des droits et libertés (7), la profession d’huissier de justice, ce mal nécessaire, mal-aimé, sera toujours le phœnix du continuum judiciaire.
À ce titre, elle mérite une prise en charge plus soutenue dans l’intérêt majeur de la société. C’est dans cette perspective que la loi n°02-2025 du 29 mars 2025 n’est qu’une étape.
Eustache Marius OTIELI
(1) La nouvelle profession d’huissier de justice en République du Congo, www.cabinetkalina.com
(2) Agence Congolaise d’information, le 25 Juillet 2024, www.aci.cg
(3) Malgré son incomplétude, la loi n°027-92 du 20 août 1992 n’a jamais fait l’objet du moindre texte d’application. Ce qui a été à l’origine de toutes les failles constatées dans le fonctionnement de la profession
(4) Dictionnaire de l’académie française, 9ème édition, www.dictionnaire-academie.fr
(5) Loi n°2018-974 du 27 décembre 2018 portant sur les statuts des commissaires de justice au Sénégal, www.scribd.com
(6) Le discours du Président de la République prononcé le 17 janvier 2024 à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée judiciaire de la Cour Suprême atteste de la nécessité d’une profession d’huissier de justice bien organisée dans l’intérêt de la bonne marche de la justice.
(7) La Révolution française, pourtant menée par d’éminents avocats à l’instar de Maximilien Robespierre, a entrainé la dissolution de cette profession par la Constituante. Cependant, le même pouvoir révolutionnaire s’est rendu à l’évidence que la profession d’huissier de justice était si rattachée aux droits et libertés des citoyens qu’il n’était pas possible de faire autant (Confère Discours du Baron Guillaume-jean Favard de Langlade, avocat, député, partisan du coup d’Etat du 18 brumaire et rédacteur du décret de 1813 relatif à la profession d’huissier de justice).
Histoire de la profession d’huissier de Justice www.huissier-de-justice.fr







