Dans un entretien avec notre rédaction qui l’a rencontré lundi 22 novembre 2021, le lendemain de la messe pontificale consacrant l’installation de Mgr Bienvenu Manamika Bafouakouaou comme nouvel archevêque métropolitain de Brazzaville, le Cardinal Dieudonné Nzapalainga, archevêque métropolitain de Bangui (Centrafrique) retrace les moments saillants de cette cérémonie de prise de possession canonique inoubliable. Il y a assisté, aux côtés notamment de ses confrères le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu et Mgr Samuel Kleda, respectivement archevêques métropolitains de Kinshasa en RD Congo et de Douala, au Cameroun, au stade Félix Eboué.
* Eminence, quelle lecture peut-on faire de cette cérémonie?
** La cérémonie d’hier commence par une lecture spirituelle parce que c’est Dieu qui convoque son peuple, c’est Dieu qui rassemble son peuple et quand il rassemble il a un message à l’occasion d’un événement particulier. L’événement, il s’agit de l’installation d’un archevêque ici à Brazzaville, ce n’est pas rien. Un père de l’Eglise, un père qui va être là pour gouverner, pour annoncer la Parole de Dieu; qui va être là au nom du Seigneur pour sanctifier. C’est un moment unique, et nous venons, le Cardinal Ambongo et moi pour témoigner de la solidarité des Eglises sœurs proches de cette Eglise. Ce moment était important parce que vous avez là celui qui a gouverné pendant 20 ans et qui le dit ouvertement: voici venu le moment de passer le témoin! Et il invite tout le monde à marcher derrière son successeur, c’est beau. Ce sont des expériences qu’on aimerait voir non seulement à l’Eglise mais aussi ailleurs, dans d’autres sphères, à plusieurs niveaux.
Personne n’est éternel, nous venons ici-bas pour des missions bien définies et ensuite le Seigneur peut appeler quelqu’un. Avec grande joie, nous avons vu que le Seigneur a posé son regard sur notre frère qui était à Dolisie. Il a été appelé pour venir à Brazzaville, il a laissé Dolisie pour Brazzaville. Et maintenant un peuple qui est là, qui l’accueille. Hier nous avons vu ce peuple qui a répondu. Nonobstant la question de la pandémie, vous devriez voir le stade Félix Eboué rempli. A cause de la pandémie, de la distanciation il n’y a pas eu beaucoup de gens. Mais les gens étaient là, ils ont suivi ce moment important. C’est leur pasteur, on ne peut pas le nier.
Vous avez aussi les autorités qui étaient venues parce que l’évêque, il n’est pas seulement évêque pour les catholiques. Il est évêque d’une circonscription, d’une ville, d’un territoire. Or sur le territoire, vous avez des hommes qui gouvernent ce territoire au niveau temporel. Hier le président est venu, les membres du gouvernement, les présidents des institutions pour dire qu’une institution comme l’Eglise qui a aussi quelqu’un à sa tête, a besoin de collaborer, de rencontrer les autres institutions. Nous avons apprécié à sa juste valeur la présence des uns et des autres pour être là, à ce grand moment.
Vous avez vu aussi que ce moment est un moment où ceux qui sont dans l’archidiocèse de Brazzaville, les agents pastoraux: prêtres, religieuses, laïcs, jeunes, tous sont venus faire allégeance. Peut-être que les gens ne mesurent pas la portée de cet acte-là. Vous avez le père qui est là et on vient faire allégeance, on va l’accueillir. D’abord lui, il a pris le temps de professer sa foi, de s’engager à annoncer la Bonne Nouvelle, à obéir à Rome, et aussi à respecter la tradition. Et maintenant ses enfants peuvent venir autour de lui s’incliner pour exprimer aussi leur dévouement, leur obéissance parce qu’ils auront besoin de lui pour leur transmettre la Bonne Nouvelle, pour leur donner de la nourriture spirituelle, pour les guider, afin qu’ils puissent marcher dans la bonne voie. Ces moments sont des moments importants que nous avons vécus hier à travers cette célébration où nous avons vu le passage. Nous avons vu aussi le nouvel archevêque qui a présidé la messe et donné la bénédiction à tout le peuple de Dieu.
Certes, cette célébration était magnifique et splendide en qualité, en beauté, mais il y a la quintessence que je viens de vous relater.
* Passage de témoin, prise de possession canonique, cela suppose de multiples défis. Qu’avez-vous dit réellement à votre frère?
** Nous sommes venus lui traduire notre proximité, notre fraternité, notre amour pour lui et pour cette Eglise. Si nous nous sommes déplacés, ce n’est pas un fait du hasard, c’est parce que nous pensons que Brazzaville comme capitale, comme ville qui regroupe une diversité de populations a besoin d’un pasteur. L’Eglise vient de donner un pasteur et c’est lui; et nous on vient pour lui manifester notre proximité. En même temps, chaque ville a ses charmes, ses défis, ses caractéristiques et aussi ses challenges. Comme pasteur, il aura à découvrir, à tendre l’oreille pour écouter les uns les autres, il a commencé à le faire déjà. Comme pasteur il aura à accueillir les gens qui viendront vers lui. II y a des sons de cloche. Ces sons de cloche peuvent être positifs ou négatifs, mais il aura à discerner pour savoir où se trouve le vrai son de cloche pour pouvoir conduire, parce que dans tout cela il est pasteur pour conduire le peuple. Il y a des moments où vous le verrez, il sera devant. Devant le Christ était: pour marcher, ouvrir le chemin qui mène vers le Père. Il y a des moments où il sera avec le peuple. Le Pape François parle souvent de sentir l’odeur des brebis, c’est aussi ça. Quand tu es avec, tu sens l’odeur et tu peux voir qui fait quoi, et entraîner les gens dans la même direction. Il peut être aussi derrière pour regarder d’où arrive le loup et voir qui est malade comme bête, pour pouvoir les accompagner et tenir sa bergerie. Donc il y a plusieurs postures qu’il peut avoir. Tout dépendra des moments favorables et c’est à lui de discerner. Nous comme aînés on n’a pas des leçons à donner mais on vient simplement pour l’encourager, prier avec lui et lui dire qu’il aura avec son presbyterium à construire cette Eglise de Dieu qui est ici à Brazzaville.
* Etre évêque de la capitale ne fait-il pas peur, n’est-ce pas délicat?
** Etre évêque de la capitale, c’est un appel. Si on regarde ses propres forces, on peut avoir peur. Mais ce n’est pas notre mission, c’est la mission du Christ. C’est le Christ qui appelle à travers l’Eglise et qui demande à l’intéressé. Une fois que vous répondez vous faites comme la Vierge Marie, vous vous abandonnez entre ses mains et c’est le Seigneur qui vous mènera. Il vous donnera des hommes et des femmes qui vont vous aider à assumer cette mission. Sinon vous allez avoir peur et reculer. Or le Seigneur vous demande d’avancer en eau profonde, au large. Ce qui veut dire que si le Seigneur est toujours devant nous, on n’aura pas peur, de qui aurai-je peur? Parce qu’il est là, il est le rempart, il est le rocher. Etre évêque ici à la capitale a aussi ses défis, ses atouts et ses difficultés. C’est au pasteur de recevoir cette ville comme une grâce, et de collaborer avec les uns et les autres pour que la lumière du Christ brille toujours sur cette ville. Que cette lumière vienne chasser les ténèbres de l’injustice, de la corruption, du refus des autres, de la médisance, de la calomnie. La lumière du Christ peut passer par le pasteur pour chasser ces ténèbres et je crois que la capitale donne le tempo souvent parce que tout le monde regarde vers la capitale. En Afrique tout le monde veut aller à la capitale, mais qu’est-ce qu’on part y chercher? Nous aimerions que la capitale rencontre aussi le Christ.
Propos recueillis par
Aristide Ghislain NGOUMA