Portée sur les fonts baptismaux en 2017 par l’Institut Médiafrique citoyenne et l’association Nouvel art, la maison Médiafrique Editions vient de publier ses deux premiers livres: «Pierre Savorgnan De Brazza: Totem et tabous», un essai critique de Julien Lecas Atondi Monmondjo, dans la collection Standard producteur et «Marché Total: palabre à la criée», une fiction romanesque de Matondo-Kubu Turé, dans la collection Nouvel art. Les deux ouvrages ont été présentés le samedi 10 juillet 2021, à l’Ecole de peinture de Poto-Poto, à Brazzaville. C’était en présence de nombreux férus de la littérature.

Dans «Pierre Savorgnan De Brazza: Totem et Tabous», l’auteur relève que: «L’explorateur Pierre Savorgnan De Brazza» a très tôt été couvert du mythe d’«humaniste» à la face émaciée. Pourtant, les témoignages et documents historiques à la disposition des chercheurs, qui affirment l’envers de ce décret, sont légion. Il passe en revue les pratiques de ce «fondateur d’empire» qui maniait à merveille le fusil et la roublardise. Lui et ses compagnons, pour la plupart des hommes d’armes au service de leur patrie, ont écumé les régions du Gabon et du Congo, à la recherche du «royaume du prêtre Jean», vastes territoires riches en produits et du sous-sol. Cet essai d’historien, dans un élan antadiopien, retourne les totems et tabous savamment inculqués aux peuples africains».
Pourquoi avoir écrit ce livre? «Ce sont d’abord les maladresses de ceux qui ont eu l’initiative de construire le monument Savorgnan De Brazza. La première des choses qui m’a énormément frappée, ce fut la propagande qui a précédé la cérémonie de la première pierre. On a diffusé des images du roi Iloo, mais qui n’étaient pas, en fait, ces images. Ensuite, il y a eu cette histoire de Brazzaville créée le 3 octobre 1880, ce qui est démenti. En fait, Brazzaville a été construit en 1884. Si vous allez au Palais du peuple, vous allez découvrir une plaque commémorative implantée actuellement dans la pelouse ou il ressort: «Ici fut construite la première maison de Brazzaville de De Chavanne».
L’une des choses qui m’a le plus révolté, a-t-il expliqué, «c’est qu’on a eu à canoniser De Brazza humaniste. En France, la loi initiée par Chirac pour parler de la colonisation comme un aspect positif a soulevé une levée de boucliers et Chirac a pris peur. Et en 2006, cette loi a été supprimée. Le Congo a signé un accord avec la famille De Brazza et au moment où nous parlons, il est en procès avec cette famille pour non-respect des accords. Cette famille demandait de rapatrier les restes de De Brazza en Italie. Il y a une amende de 5000 euros par jour de retard de rapatriement de ses restes en Italie.»
A propos de l’ouvrage ‘’Marché Total, palabre à la criée’’, de Matondo-Kubu Turé, il est à noter qu’«une société où tout se vend, où tout s’achète à la criée ou sous cape (même les consciences, les corps, les pratiques religieuses…) est une société en larmes, une société au fil de la nécrose… Un marché Total». S’inspirant du souffle et des techniques de la palabre africaine, l’auteur peint les frasques d’une communauté urbaine qui, en dépit des terreurs militaires et économiques, des jeux, et autres péripéties fallacieuses de l’existence, invente au quotidien à tout-va, les sursauts du dire, du rire et de l’inédit…
Sur les circonstances de la rédaction de ce livre, l’auteur a laissé entendre que la grande partie de son ouvrage a été écrite pendant la guerre: «J’étais en cachette dans une forêt de la région du Pool. J’étais toujours en colère, quand j’écrivais ‘’Marché Total’’. Mais, je voudrais quand même dire que depuis 1960, ce pays qu’on appelle le Congo-Brazzaville a tout raté: l’école, la démocratie, l’hôpital, l’agriculture, l’industrie, l’Eglise, et la liste est longue. Mais, nous avons réussi une seule chose, notre génie national, c’est que nous sommes capables de vendre et d’acheter n’importe quoi. C’est que nous sommes capables de construire toutes les corruptions possibles… Dans certains quartiers, vous allez remarquer que toutes les rues sont devenues presque des marchés. Même le Marché total, on ne sait pas jusqu’où il va s’arrêter. En économie, on dit que quand le marché se développe, c’est une richesse. Mais, notre ‘’Marché Total’’ à nous, c’est la photo de la misère. Tout cet environnement vous le trouverez dans mon ouvrage», estime-t-il.

Alain Patrick
MASSAMBA