Depuis la mise en service de la Route nationale numéro 1 en 2011, le massif forestier du Mayombe est sous pression. Avec notamment le sciage artisanal illégal des essences qui s’y trouvent. Un jour, non loin du village Doumanga, dans le district de Mvouti, à quelque 70 kilomètres à l’est de Pointe-Noire, en plein cœur du massif montagneux et forestier du Mayombe…
Des oiseaux qui volètent çà et là dans le ciel ou se répandent dans la cime des arbres, des insectes qui se pavanent dans l’espace. Le tout sous une canopée où l’air humecté par ces géants arbres séculaires, asperge la nature d’un parfum quasi envoûtant…. C’est peu dire que si le paradis a un visage, c’est bien dans le Mayombe qu’il faudrait venir le contempler.
Mais une atmosphère édénique qui tranche littéralement avec ces ronronnements qui se font entendre au loin et se précisent à mesure qu’on s’enfonce dans les entrailles de la forêt. Et tout en grinçant comme pour exprimer leur douleur, ce sont des arbres qui tombent lâchement les uns après les autres.

Un bois abattu et scié
Un bois abattu et scié

Une activité fructueuse
De Malele à Les Saras, en passant par Pilicondi, Doumanga et Kisila, le sciage artisanal tourne à plein régime dans la plupart des villages situés le long de la RN1. Et le difficile contexte économique du pays fait partie de l’argumentaire de chacun. «Je suis maçon. Les marchés se font de plus en plus rares en ville depuis le déclenchement de la crise économique dans notre pays. J’ai été obligé de venir m’installer ici. Je pouvais faire autre chose. Mais le sciage me procure de quoi manger», témoigne un scieur de Doumanga.
Si le sciage artisanal attire autant, c’est parce qu’il est fructueux. «Il suffit d’avoir ta tronçonneuse. Tu achètes un hectare et tu te mets à abattre les arbres. Un arbre te procure du bois débité que tu vas vendre à prix d’or. Les souches et les branches, tu en fais du charbon de bois utilisé comme combustible dans les ménages. C’est dire que le sciage artisanal est une activité très juteuse», un charbonnier du village Kissila.
Une activité tellement fructueuse qu’elle a fini par attirer même ceux-là qui sont censés bien gagner leur vie. Parlementaires, chefs d’entreprises, hauts gradés de la Force publique, …. Dans le Mayombe, le sciage artisanal, c’est beaucoup plus l’affaire de hauts dignitaires. «Cette forêt que vous voyez, c’est 50 hectares. Elle appartient à un officier de l’armée. Il y pratique le sciage artisanal, fabrique du charbon et y pratique l’agriculture», explique notre guide.
Hauts dignitaires dans le coup?
S’il nous a été impossible de prendre langue avec cet officier, des villageois sont formels et unanimes. «On ne vous a pas menti. Beaucoup de chefs ont des hectares ici. Leurs principales activités? Le sciage artisanal, l’agriculture et la fabrication de charbon de bois», témoigne le collaborateur d’un chef de village. Comme lui, toutes les autorités locales abordées n’ont pas voulu se prononcer officiellement, par «peur de représailles, car nous avons été nommés par eux».
Et pourtant, le sciage artisanal est encadré par la loi 33-20 du 8 juillet 2020 portant code forestier. Selon l’article 143 dudit code, il faut être muni d’une autorisation, excepté la coupe de bois pour la construction d’habitats, la fabrication de cercueil lors des décès dans le village et bien d’autres usages domestiques. «Malheureusement, les scieurs, surtout ceux qui travaillent pour des autorités ne respectent pas la loi», explique un habitant de Pilicondi.
Si les petits scieurs s’arrangent à soudoyer agents des Eaux et forêts, quasiment personne n’interpelle ni ne transige avec de hauts responsables. C’est du moins l’avis de certains observateurs. «Lors de nos échanges avec eux, les communautés locales font état de la corruption et du trafic d’influence. C’est dire que ces antivaleurs sont fortes ici», explique Fabrice Séverin Kimpoutou, assistant à la recherche au sein de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (RPDH).
Dans le cadre d’un programme de sensibilisation et de formation des populations à la nouvelle gouvernance forestière et foncière, l’ONG de défense des droits humains mène des enquêtes dans la zone sur les illégalités forestières dans le Kouilou, département dans lequel est situé le Mayombe.

Dans la hantise de la disparition
Des illégalités difficiles à vérifier auprès de l’administration, car nos demandes d’interview sont restées lettre morte. Pourtant la lutte contre ces illégalités n’est pas aussi simple qu’on peut l’imaginer. «Comment voulez-vous qu’on arrête le convoi de planches sciées d’un colonel ? Ce serait chercher des ennuis», commente un agent des Eaux et forêts sous couvert d’anonymat.
Composante importante du Bassin du Congo, un des principaux poumons écologiques du monde, la forêt du Mayombe se dégrade progressivement. Au point que certaines étendues de forêts ont disparu au profit de savanes anthropiques, comme on peut le constater dans les environs du village Ntoto Siala où une bananeraie s’étend à perte de vue.
Un danger dont les villageois sont eux-mêmes conscients. «Nos parents nous ont nourris et élevés grâce à cette forêt. Mais depuis qu’on a ouvert cette route, le sciage artisanal a augmenté. Et chaque jour on enregistre l’arrivée de nouveaux visages. À cette allure, il y a de quoi craindre pour notre avenir», redoute Jean Marie Mambou, ancien chef du village de Doumanga.
Besoin d’alternatives
Même inquiétude du côté des scieurs eux-mêmes. «Je suis conscient qu’on ne le verra plus. Notre forêt est en train de disparaître. Mais nous n’avons pas le choix. Il faut vraiment des alternatives rassurantes», explique un scieur de Doumanga.
D’autres exploitants du Mayombe ont déjà trouvé des alternatives. «Ceci est mon ruché. Je fais l’apiculture. Pour moi, c’est la meilleure manière de tirer profit du Mayombe sans le mettre en danger», explique Jean Banzenza, apiculteur exploitant non loin de Doumanga.
La lutte contre le sciage artisanal comme bien d’autres activités illégales fait partie des défis de la sauvegarde du Mayombe face à la surexploitation dont elle fait l’objet depuis la mise en service de la RN1.

John NDINGA-NGOMA.
Cet article a été réalisé avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center