Archevêque de Kinshasa (République démocratique du Congo), le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu a séjourné à Brazzaville du 26 au 28 octobre 2020, dans le cadre de la commémoration des 80 ans du «Manifeste de Brazzaville». Il conduisait une délégation dans laquelle se trouvait le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, son prédécesseur. L’événement a aussi été marqué par une messe lundi 26 octobre en la basilique Sainte-Anne du Congo, sanctuaire-souvenir entre la France et le Congo, une soirée culturelle mardi 27 octobre animée par le Chœur credo du Congo et la chorale paroissiale les Piroguiers à laquelle ont assisté le couple présidentiel, les évêques venus du Cameroun, de Centrafrique, de Guinée équatoriale, de RD Congo et du Congo. Vieille de 77 ans, l’histoire de cette basilique, la première en Afrique centrale, est intimement liée à celle du général Charles De Gaulle. Entretien.

* Eminence, vous avez séjourné à Brazzaville dans le cadre de la commémoration des 80 ans du Manifeste de Brazzaville. Quelle lecture l’Eglise fait-elle de ces événements?
** Je n’ai pas connu De Gaulle comme personne, j’étais encore très jeune; mais je l’ai connu comme personnage historique parce que l’appel de Brazzaville, ce qu’on a appelé le «Manifeste de Brazzaville» a eu des répercussions aussi dans les pays voisins. De Gaulle a fait sa déclaration ici à Brazzaville le 27 octobre 1940, et le lendemain il a traversé à Kinshasa, Léopoldville à l’époque. C’est le premier pays qui l’a accueilli avec tous les honneurs dus à un chef d’Etat en dehors des territoires français. C’est dire que l’événement pour le Congo-Kinshasa est d’une grande importance parce que c’est à partir de là que le gouverneur du Congo-Belge, qui était en rébellion contre le roi Léopold III de Belgique qui soutenait l’Allemagne, a levé l’option d’aller en résistance. Et c’est lui qui a mobilisé les Congolais pour aller en guerre en Abyssinie (Ethiopie), en Tanzanie, qui étaient des anciennes colonies allemandes. Donc, c’est un événement pour nous d’une grande portée historique.
La figure de De Gaulle, à partir de l’appel qu’il a lancé ici, a donné le ton pour le relèvement de l’homme noir à l’époque. Je crois que cet appel a donné des idées aux Africains, et c’est ça aussi qui a permis l’émancipation, les indépendances africaines. L’Eglise est au service de l’homme debout, et quand l’homme croupit dans l’humiliation, dans la misère, etc., l’Eglise ne peut que se mettre du côté de celui qui travaille pour son relèvement.

* Ces événements ont permis de revisiter l’histoire de Sainte-Anne, édifice qui met ensemble la France et le Congo. Qu’est-ce que cela symbolise pour vous?
** J’étais très ému de la production culturelle riche en histoire et riche d’enseignements qui relataient l’historique de ce bâtiment depuis la pose de sa première pierre. Je crois que cette basilique Sainte-Anne constitue la synthèse de l’histoire de ce pays et aussi l’histoire de tous les personnages qui ont joué un rôle déterminant dans le développement de ce pays.
Jai eu plutôt le sentiment que le Congo et le peuple congolais dans son ensemble pouvaient donner de l’importance à Sainte-Anne. Ce qui m’a fait penser à la cathédrale Notre-Dame de Paris, quand elle a pris feu, vous avez vu tout le pays était uni autour de ce monument, parce que le peuple français considère que son cœur c’est Notre-Dame de Paris. Cela pourrait être la même chose pour le Congo ici; indépendamment de nos convictions religieuses, cette basilique est vraiment la synthèse de l’histoire de ce pays et je crois que les uns et les autres devraient se retrouver dans cette histoire.

* De Gaulle se commémore dans le contexte des récriminations des filles et fils d’Afrique qui réclament la restitution ou le rapatriement des œuvres culturelles subtilisées à leurs pays par la France notamment. Quelle est l’opinion de l’Eglise dans ce débat?
** L’Eglise soutient les démarches des pays africains dans ce sens. Nos patrimoines culturels, artistiques font partie de notre histoire, c’est ça aussi notre richesse. Que ces richesses soient gardées en Europe, où pour aller les voir nous devons payer de l’argent dans les musées, etc., c’est vraiment un non-sens. En même temps, nous devons aussi reconnaître que n’eût été l’intervention de ceux qui ont recueilli toutes ces œuvres artistiques et qui les ont bien conservées jusqu’à maintenant, nous aurions peut-être tout perdu parce qu’au niveau de nos pays nous n’avons pas de musées dignes de ce nom. Nous avons des œuvres dans nos villages, qui restent abandonnées et dont personne ne prend soin. Donc d’un côté il y a la nécessité de récupérer nos œuvres mais d’autre part, que nous nous donnions tous les moyens qu’il faut pour leur meilleure conservation. Sinon cela ne sert à rien de faire la guerre pour les récupérer et pour ensuite les détruire.

* Kinshasa et Brazzaville sont les deux capitales les plus proches au monde, mais aussi deux Conférences épiscopales les plus proches, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et la Conférence épiscopale du Congo (CEC). Que dire de la collaboration entre les deux Eglises sœurs?
** Nous avons de très bons rapports mais je crois que nous pouvons encore faire mieux. De nos échanges avec les évêques, j’ai rappelé ça, que nous devons amplifier le contact, les échanges entre nos deux Eglises. Dans cette perspective et au sujet de ma création comme cardinal, j’ai aussi rappelé qu’on arrive assez rapidement tenant compte du contexte du COVID, à une première visite que j’effectuerai ici. Mais c’est une visite qui ne s’arrêterait pas seulement à l’archidiocèse de Brazzaville, elle devra s’ouvrir à d’autres diocèses. Moi, je crois à la vertu des échanges entre pasteurs, entre prêtres, entre laïcs engagés de nos Eglises pour un enrichissement mutuel.

* Il y a quelques années on parlait abondamment du rapprochement de vos deux Eglises au niveau régional entre l’Association des Conférences épiscopales de la région de l’Afrique centrale (ACERAC) et l’Association des Conférences épiscopales de l’Afrique centrale (ACEAC). Où en sommes-nous aujourd’hui?
** Nous en avons parlé. Le Congo-Kinshasa, c’est l’Eglise qui est plus proche de la région qu’on appelle ACERAC. Or nous faisons partie de l’autre Conférence régionale qu’on appelle ACEAC, qui comprend le Rwanda, le Burundi et la RD Congo. La finalité de ces grandes Conférences au niveau sous-régional, c’est de créer un espace d’échanges culturel et aussi pastoral. Nous, avec les deux autres pays, naturellement ça ne nous apporte pas plus parce que c’est assez limité comme expériences à échanger. Notre souhait serait d’élargir l’horizon pour qu’il y ait plus d’aération venant des uns et des autres. L’idéal serait de mettre ensemble l’ACERAC et l’ACEAC.

* Depuis votre prise de possession du siège archiépiscopal de Kinshasa, vous vous êtes distingué par votre courage prophétique. Mais on vous trouve dur dans vos prises de position, vous fustigez souvent le pouvoir en place, qu’en est-il?
** Je ne suis pas dur dans mes prises de position, je ne fustige personne, je fais mon travail conformément à la mission que j’ai reçue du Seigneur. Je suis constitué pasteur pour le peuple de Dieu qui est à Kinshasa. Or ce peuple comme des brebis, ce sont des brebis qui souffrent, ce sont des brebis malades, ce sont des brebis affamées qui ne mangent pas suffisamment. Que fait le pasteur devant une situation pareille? C’est s’impliquer et dénoncer tout ce qui constitue des tentatives pour maintenir ce peuple, ces brebis dans un état de sous-humanité. Un pasteur qui a la conscience de sa mission ne peut pas se taire dès lors que son peuple est réduit à la sous-humanité. Ceux qui portent peut-être le jugement que l’archevêque de Kinshasa est dur et sévère, c’est tout simplement ceux qui ne veulent pas regarder la réalité en face. Si vous regardez la réalité en face et que vous avez l’amour de vos frères et sœurs, cet amour qui vient de nos cœurs nous oblige à nous impliquer et à parler, à dénoncer mais aussi à chercher ce qui peut relever ce peuple.

* On pense parfois que vous êtes un peu trop politique…
** Que signifie être trop politique? J’aimerais bien que vous m’expliquiez ça un jour. Moi, en tant qu’archevêque de Kinshasa, et ainsi font tous les évêques du Congo, nous avons au moins 40% des infrastructures de santé au Congo. Mais je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire: mais vous êtes trop sanitaire! Pourquoi vous ne me reprochez pas de m’occuper trop du domaine de la santé? Presque la moitié des écoles chez nous au Congo sont des écoles conventionnées catholiques et des écoles privées catholiques. Pourquoi vous ne me faites pas de reproches dans ce sens-là, que je m’occupe trop de l’éducation? Pourquoi seulement la politique?
Pourtant l’être humain est à la fois économique, politique, socioculturel et spirituel. Je suis institué pasteur pour cet être humain dans toutes ces dimensions. Vous voudriez peut-être que dans ma mission je dise à mon peuple: je m’occupe de toi mais sauf la dimension politique! Quel genre de mission d’évangélisation je ferais à ce moment-là? Je connais trop ce genre d’observations mais généralement ça vient des politiciens, et je sais pourquoi.

* Eminence, l’Eglise en République démocratique du Congo s’est investie à fond lors de la dernière élection présidentielle dans l’observation de celle-ci. Est-ce que vous comptez perpétuer cette démarche à l’avenir, et comment?
** D’abord nous ne cherchons pas de travail! Nous ne sommes pas un groupe de gens qui cherchent à se mêler de quoi que ce soit, mais nous sommes dans une attitude de disponibilité à rendre service à notre pays. Ce qui s’est passé en 2016, c’est le Président de la République qui s’est tourné vers nous, qui nous a appelés pour nous demander service et nous avons rendu service. Nous avons conduit le dialogue politique. Moi-même j’étais modérateur pendant les échanges et ça a conduit à l’Accord de la Saint-Sylvestre qui a rendu possibles les élections dans le contexte que nous connaissons. Mais au moins ça a permis une alternance au sommet de l’Etat.

* La CENCO dispose aujourd’hui d’un Comité laïc catholique (CLC) très engagé. Quel visage souhaitez-vous donner à cette structure dans les jours qui viennent?
** Au Congo les rôles sont très bien distribués, nous les pasteurs nous nous occupons de notre mission prophétique. Les laïcs reprennent ce même message et le traduisent en actions, aussi politiques. Dans ce sens le CLC pour nous est le fer de lance qui permet de concrétiser sur le terrain le message des évêques. Et je peux vous dire que le CLC est déjà en ordre de bataille pour l’avenir politique de notre pays. Ce qui se passe actuellement dans le pays, vous savez que le pays est bloqué. Les deux alliés au pouvoir n’arrivent plus à se faire confiance, ils se suspectent mutuellement, ils se regardent en chiens de faïence de telle sorte que l’action gouvernementale est bloquée. Et quand tout est bloqué au sommet de l’Etat, qui fait les frais, c’est la population parce que le service légitime à rendre à la population ne se fait plus. Le CLC fait des programmes qui seront suivis d’actions et tout dépendra de l’évolution, du résultat des consultations que le Président a convoquées.

* Avez-vous déjà eu peur un jour?
** Peur je ne dirais vraiment pas. Pour ma vie, je ne me suis jamais senti en insécurité, parce que je sais que dans ce que je fais, je ne fais du mal à personne, au contraire je suis du côté de mon peuple et mon peuple est avec moi. Quand le pasteur est avec ses brebis et les brebis avec le pasteur, moi je ne vois pas ce qui peut nous faire peur, le loup se tient à distance parce que ça devient dangereux pour lui.

* Avez-vous un message particulier?
** Je suis très heureux d’être ici. J’ai un peu de la peine d’être venu à Brazzaville sans pouvoir rencontrer le peuple de Dieu qui me tient tellement à cœur. C’était une invitation assez particulière dans le cadre de la célébration du 80ème anniversaire du «Manifeste de Brazzaville». Je comprends, je crois que le peuple peut aussi comprendre les circonstances. Mais je reviendrai pour qu’ensemble nous puissions nous retrouver dans une célébration eucharistique pour rendre grâce au Seigneur, pour tout ce qu’il fait pour nous. Je sais que la situation n’est pas toujours facile, mais j’exhorte le peuple de Dieu qui est au Congo-Brazzaville à garder allumée la flamme de son espérance qui vient de sa foi. Tant que cette flamme restera allumée, nous avons cette certitude de foi que le Seigneur est de notre côté, et puisqu’Il est de notre côté, notre avenir s’améliorera.

Propos recueillis par
Aristide Ghislain NGOUMA