Madame Emilienne Raoul a, 14 ans durant, siégé au Gouvernement. Et dans un livre entretien, ‘’Jalons d’une politique sociale’’, publié chez L’Harmattan (2020), elle fait le bilan de son travail et esquisse une vision, voire un programme. Le questionnaire est conduit par un professeur d’économie, qui fût par ailleurs Directeur de l’Agence française de développement (AFD), au Congo Stéphane Madaule ; qui l’a convaincue de livrer sa riche expérience à la tête d’un département, dont l’intitulé kilométrique, Ministère des affaires sociales, de la solidarité, de l’action humanitaire, des mutilés de guerre et de la famille avait de quoi donner le tournis !

Emilienne Raoul gère l’urgence
A sa prise de fonction, en 2002 son ministère fut chargé de gérer les urgences, pour ne pas dire des catastrophes. Elle s’occupa en priorité du retour de milliers de déplacés de guerre dans leurs villages d’origine et de leur reprise des activités productrices. A ces personnes, on distribue des kits d’installation comprenant des moules à brique, des semences et aux anciens miliciens, le bétail. En zone urbaine, des structures de prise en charge des enfants traumatisés furent ouvertes.

La démarche scientifique
Emilienne Raoul est enseignant chercheur à l’Université Marien Ngouabi. Elle évolue au département de géographie. Elle a passé un doctorat de 3e cycle à l’université de Lille. Elle encadre des mémoires et des recherches en géographie urbaine. La pauvreté, l’emploi et l’activité des femmes vivant dans la précarité marque la vie urbaine. Par ailleurs, elle fait la découverte d’un auteur, d’un prêtre, le père Lebret travaillant dans le milieu rural au Sénégal. Le père Lebret a inauguré une méthode action, enquête, participation à travers lesquelles les populations expriment leurs problèmes, leurs besoins en vue d’en rechercher des solutions (P24). Emilienne Raoul est fascinée par cette approche scientifique et initie une étude sur le fonctionnement des circonscriptions de l’Action sociale.
Les résultats de cette recherche révèlent, entre autres, attentes de l’aide financière, « pour vivre, se nourrir, se soigner, apprendre un métier, exercer une activité », (Page 28). Il est difficile que les professionnels d’action sociale arrivent à régler de tels problèmes, tout comme ceux provenant des conflits familiaux qui entrainent l’abandon des femmes et des enfants. L’autre opportunité qui inspire Mme Emilienne Raoul est l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dans le cadre des obligations contractées par le Congo dans la mise en œuvre des politiques publiques. Les OMD doivent répondre aux besoins des plus pauvres en termes d’alimentation, d’éducation, de santé, d’emploi et d’assainissement. Elle engage en 2011 des études sectorielles sur la Vulnérabilité au Congo, et il en ressort des cibles de l’action sociale dont les personnes âgées, les femmes en situation précaire, les personnes handicapées, les femmes désœuvrées et les familles économiquement faibles. Ces études ont conduit à recadrer l’action sociale, surtout que l’Etat a mené une étude et élaboré un Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP). Les statistiques publiées dans ce document mettent en lumière l’ampleur de la pauvreté parce que 51% des congolais sur 4 millions vivent sous le seuil de pauvreté. Le document cible les groupes concernés : l’enfance, les personnes âgées, les peuples autochtones etc… Mme Raoul en tire les conséquences, car le travail en action sociale pour elle, est concentré sur les besoins de l’être humain ainsi que sur son potentiel et son action. Elle définit son action en 4 P :
1- prévention des situations de précarité
2- protection des personnes les plus vulnérables
3- prise en charge des cas de détresse
4- promotion de l’autonomisation des groupes vulnérables
Elle reprend ainsi le schéma de la recherche-action. Mais, elle ne cesse d’affiner les orientations de son travail en signant des contrats de consultation avec l’université d’Aix-Marseille surtout avec le laboratoire Population-Environnement qui apporte un appui scientifique et méthodologique en 3 axes:
1-Préfiguration du projet d’appui au développement communautaire de 7 districts ruraux pauvres et enclavés
2-Appui et conseil scientifique à la mise en place d’un système d’information d’action sociale et d’intervention sociale de l’enfance
3- La formation des cadres
Mme Raoul s’intéresse aux expériences de terrain et effectue des voyages
1 – au Maroc, pour se pénétrer de la politique que menait le Gouvernement dans le cadre de l’Initiative nationale de développement dans la lutte contre la pauvreté
2 – au Bénin où se conduisaient les expériences Songhai. On donnait aux hommes et aux femmes conscience qu’une partie de leur avenir se trouvait dans leurs mains. Un prêtre dominicain pilotait les gens grâce à ses enseignements de philosophie et de christianisme à sortir psychologiquement de la détresse morale.
3 – au Brésil, sous le règne de Lula, là-bas le Gouvernement avait un ministère de Développement social et de lutte contre la faim. Il coordonnait plusieurs programmes contre la pauvreté dont celui concernant les logements sociaux, pour permettre d’accéder à un habitat décent ; les pauvres recevaient une maison gratuitement financée par les banques, les collectivités locales et les entreprises. Des logements de 40 m2 et les gens ne payant que 10 dollars pour les services d’eau, électricité et le ramassage des ordures.
Emilienne se souvenait de la politique de l’habitat menée au Congo dans les années 1965 et 1970, un programme de constructions de location-vente permit à des salariés modestes d’accéder au logement. Qu’avait-elle à se mêler de construction de maisons dépendant d’un autre dépendant ? Il y eut aussi une autre démarche concernant l’accès au crédit. Elle fut inspirée par l’expérience du Prix Nobel de la paix qui créa une banque pour octroyer des crédits aux pauvres. Elle créa pour ce faire un Projet d’appui à la réinsertion socioéconomique des groupes défavorisés.
Des crédits furent effectivement octroyés d’un montant de 571911866 francs CFA à 2176 bénéficiaires. Les administrateurs à la tête de la structure furent en fait complétement inefficaces. Les femmes qui reçurent les crédits remboursèrent à 98 % des sommes reçues et les hommes 34,75 % seulement.
Une équipe aussi dénommée Facilitateurs de la gestion axée sur les résultats s’ingénia à boycotter cette expérience d’avant-garde, opposée au changement.

De la formation
Former les personnels s’inscrivait dans la priorité du département, car sur 2500 agents recrutés en 2011, 11 % étaient titulaires d’un diplôme d’Etat et construire un Institut national du travail social, devint son objectif. Il fallait en finir avec les bénévoles, tenant les services sociaux sans rémunération. Malheureusement, l’Etat avait d’autres priorités. Et quand il fut admis de recruter 580 agents au bénéfice des affaires sociales, la fonction publique préleva des postes pour les attribuer à d’autres ministères. Mais des formations furet engagées dans les conditions plus spartiates, alors qu’un terrain était acquis.

La coopération tous azimuts
Mme Raoul a pu bénéficier des concours des partenaires comme l’AFD, le BIT, le PAM, la Banque mondiale, le FMI, l’UNICEF. Certains projets engagés grâce à leurs financements ont vu le jour, d’autres ont manqué le financement de la contribution de l’Etat congolais. Le BIT, par exemple, a permis des initiatives de mettre un plan de chantier- école. Et des jeunes ont construit des passerelles, des dalots ; nombreux d’entre eux ont créé leurs micro-entreprises et se sont installés à leur propre compte. La mise en route du projet Lisungi a permis des forfaits monétaires en direction des déshérités. Ces filets sociaux ont apporté des appuis substantiels grâce à l’AFD.

Je suis le ministre de la pauvreté (Page 53)
Un sentiment chrétien semble avoir guidé également Mme Raoul. Ce sont de milliers d’enfants sans actes de naissance, donc manquant d’identité. Le ministère s’est attelé à cela, car est-il possible en plein 21e siècle que les naissances ne soient pas enregistrées P9 ? aussi en ville comme dans l’hinterland. L’enfance vit plusieurs drames, celui de la traite. Et c’est avec le Bénin que des actions hardies ont été menées pour combattre la traite des enfants. Les trafiquants ont été condamnés par la Justice et des enfants rapatriés dans leurs familles d’origine. Des textes ont été pris en conséquence. Il reste encore un volet, celui de l’adoption. Une loi a été élaborée, elle traine à être prise parce que l’on voudrait l’intégrer dans le nouveau code de la famille qui tarde à voir le jour.
L’autre domaine de la misère est celui de l’handicap. Pour rendre la dignité aux personnes handicapées, le ministère des affaires sociales ouvrit à la fonction publique leur recrutement, leur réservant 10 % des postes. Cela permit aux intéressés de se loger, se marier, avoir des enfants, mener une vie presque normale et surtout retrouver de la dignité. Tout comme il fut possible grâce à une ONG hollandaise de faire pratiquer des interventions chirurgicales sur les enfants porteurs de malformations congénitales ou acquises. Le Parlement des enfants permit de son côté l’expression des jeunes. Par un décret, le Président de la République approuva l’une de leurs initiatives réglementant la production, l’importation, le commerce local et l’utilisation des sacs en plastique et sachets. Les étudiants mal voyants ont reçu des accompagnateurs pour entreprendre des études universitaires. Ils furent dotés des matériels techniques.
Le ministère fut un temps chargé de la coordination des actes multisectoriels en collaboration avec les départements de la Justice, de la Santé, de la promotion de la Femme pour les populations autochtones.
Dans le cadre de leur autonomisation et de l’amélioration de leur qualité de vie, les enfants et femmes des peuples autochtones reçurent des instruments aratoires, des semences pour s’affranchir des corvées imposées à eux par les peuples bantous. Cela fut également réalisé grâce aux accords des ONG et des communautés religieuses.
Rares sont les ministres qui exposent le bilan de leur travail et revendique le titre de ministre de la pauvreté comme le fit Mme Raoul. C’est un élan de charité chrétienne.
Le passage de Mme Raoul aura été une vraie équipée. On ne sait de qui elle a hérité cette énergie ? de son éducation, et probablement aussi du mariage avec un officier formé aux grandes écoles.
Elle a frayé un cheminement et posé les premiers jalons aux autres de conduire la barque. Elle est convaincue que le secteur de l’agriculture devrait avoir comme tâche principale nourrir les Congolais.
Et le travail doit être pensé et mené scientifiquement. Et comme une partie importante de la population souffre d’insuffisance alimentaire, le développement n’est pas pour demain. Il importe de sortir des routines et inventer l’avenir en s’inspirant des expériences des autres. Dans un style simple avec un ton hardi, Emilienne Raoul apporte une contribution à l’éclairage des problèmes de notre société. J’encourage les décideurs à lire cet ouvrage disponible à L’Harmattan, près de Congo pharmacie, et à la FNAC au prix de 10.000 francs CFA.

Lecas
ATONDI-MONMONDJO