Nous assistons, encore une fois en téléspectateurs désabusés, au retournement des tendances qui auraient pu fonder nos Nations. Nous nous considérons toujours comme jeunes Etats indépendants (après 61 ans), toujours assez inexperts pour exiger qu’on nous pardonne nos maladresses (comprenant des actes de gourmande corruption) et le non-respect de la parole donnée ou des engagements souscrits. Nous sommes si jeunes !
Nos mandats, nous pouvons les triturer dans tous les sens, les habiller des vernis les plus attrayants, les présenter comme on veut, ce n’est pas le vocabulaire qui nous fera défaut pour présenter comme bien ce qui est mal. Chaque matin nous nous levons et nous repoussons les limites qui nous arrangent ou qui nous dérangent. Des losanges ou des carrés: c’est nous qui fixons les figures, quand on veut et comme on veut. C’est nous, pas la nature. Et surtout pas la loi et les textes !
Avec une petite dose d’égoïsme, nous serions largement tentés de prétendre que ces travers sont uniquement congolais. Une exclusivité nationale. Non, hélas, d’autres prétendants au Prix Nobel des caméléons et du dribble existent. Même dans notre sous-région. L’Union africaine elle-même vient de nous donner avec le Tchad la preuve qu’il n’est pas besoin de texte pour lire dans les cartes. La mort d’Idriss Deby aurait dû faire s’activer les textes et la Constitution.
Ça n’a pas été le cas. C’est le fils du père qui s’est imposé pour prendre la suite. Un coup d’Etat ? Où ça ? L’Union Africaine n’a vu qu’un processus transitoire qui devra mener, à brève, vers des élections inclusives. Des vraies. L’Union ne veut surtout pas confondre vitesse et précipitation ; son Conseil de paix et de sécurité veut juste donner 18 mois au Conseil militaire de transition tchadien pour organiser des «élections démocratiques».
On voit d’ici les treillis tremblant sous le vent de l’harmatan tchadien et comptant avec fébrilité les jours restants ! Pas de sanctions pour avoir pris le pouvoir en dehors des prescriptions et admonestations de la jurisprudence, même dans ces circonstances tragiques. Juste une «ferme» recommandation à ne surtout pas oublier de tenir des élections dans les 18 mois. Le Tchad est jugé essentiel pour la stabilité du pourtour du Lac Tchad et la lutte contre le djihadisme. Pas question donc de se montrer plus regardants sur la gouvernance ou les préséances constitutionnelles.
Le même scénario pourrait se répéter au Mali, au Bénin, ailleurs. La jurisprudence de l’Union africaine est fournie. On le sait, la loi s’applique dans toute sa rigueur contre les ennemis, pour des amis elle s’interprète. Les circonstances atténuantes n’ont pas été inventées pour la justice, mais pour les amis, les partenaires sympathiques. C’est ainsi que 61 ans après la proclamation de nos indépendances, et n’en déplaise à l’ancien Président Barak Obama qui soutenait le contraire, nous continuons à dupliquer les hommes forts, pas les institutions fortes qui auraient servi à nous élever et à tracer les lignes intangibles entre le permis et l’interdit.

Albert S. MIANZOUKOUTA