Il en est de la presse comme de tout, au Congo. Nous avons les institutions pour parler de sa liberté ; nous avons les personnels qui viennent soutenir sur la place publique que le Congo est bel et bien un pays jouissant de la pleine liberté d’informer et de s’informer. Nous avons même les textes qui fixent dans le marbre du moment que cette liberté est garantie pour toujours. Il en est même pour soutenir comme élément de preuve qu’aucun professionnel de médias n’est aujourd’hui en prison pour l’exercice de son métier d’informer au Congo. Qu’à toutes les occasions les bons gestes, le bon mot, la bonne attitude ont été posés, preuves que, oui, résolument, nous vivons et travaillons libres de dire et de faire. Un procès de temps en temps, une suspension de journal, d’ailleurs prononcée par des professionnels des médias eux-mêmes, quelle importance?
Mais pourquoi il y a toujours, persistant, ce petit quelque chose d’indéfinissable qui contredit le sentiment premier. Est-ce dû aux petits coups de fil amicaux réprobateurs, aux silences de l’autorité devant certaines carences, au trop grand empressement de confrères et de consœurs à passer la pommade et à vous dire ensuite que c’est ainsi qu’il faut agir ?
A ce jeu, la liberté d’informer est toujours tributaire des bonnes relations qu’on entretient avec des hauts-placés. De circonstances heureuses ou malheureuses dans lesquelles on l’exerce, des contingences : autant dire qu’elle reste aléatoire. Car soumise à tout ce qui ne favorise pas, justement, une liberté vraiment libre, solidement.
Dans les réseaux sociaux devenus notre première source d’information et la source d’inspiration principale des autorités (qui démentent à tout-va, signe qu’elles sont devenues des accros aux sites qu’elles vilipendent), nous trouvons plus de liberté à dire. Plus de matière à commenter, jusqu’au prochain démenti du Gouvernement. «Contrairement à ce que disent les réseaux sociaux… ». Entendez : «nous ne l’avons pas dit, mais nous aurions pu le dire» !
Les réseaux sociaux sont aussi devenus le divan du psychiatre pour tout un monde qui charrie le vrai et le faux, qui alimente en continue, attise les braises ou les délaisse sans aucun état d’âme, et s’épanche. Le fait est que nous nous battons contre des habitudes qui se sont incrustées en tous. On rappelle que la presse est un pouvoir quand, précisément, elle montre les signes de son incapacité à se dire pouvoir.
Notre journal, La Semaine Africaine, vient de prendre part à une session de formation aux techniques de l’interview (lire page 6). La session a consisté en des rappels fort utiles. Le dispensateur de ces enseignements, un journaliste américain, a réaffirmé que les institutions des Etats-Unis étaient fortes parce que la presse des Etats-Unis était forte. C’est un constat, pas un souhait. Chez nous, on peut se demander si notre presse est forte. Si nos institutions sont fortes ou à renforcer. Un faible ne peut pas renforcer un faible!
Et puis, on pourrait même se demander ce que voudrait dire une presse forte dans le contexte congolais, où les journaux et les radios et télévisions privées se débattent dans mille et une difficultés sans que les institutions restent fortes d’autre chose que de leur seule indifférence. Nous continuons d’user de notre liberté de presse pour seulement la brandir à la caisse des récriminations et des sollicitations de pauvres. Nous avons encore du chemin à faire !

Albert S. MIANZOUKOUTA