‘’Désir d’Afrique’’, l’essai de l’écrivain congolais Boniface Mongo-Mboussa, a été publié pour la première fois en 2022 avec une préface d’Ahmadou Kourouma et une postface du romancier togolais Samir Tchak, dans la collection Continent noir des éditions Gallimard. Cet essai composé de textes de l’auteur et d’interviews, est aujourd’hui disponible en livre de poche folio/essai chez Gallimard. Si depuis 2002 beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, ce texte important qui dresse un tableau de la littérature d’Afrique, des Caraïbes et de Madagascar de la seconde moitié du XXe siècle, reste d’une brûlante actualité. C’est pourquoi le livre de Mongo-Mboussa vaut la peine d’être lu ou relu.
Dans son essai, l’auteur revient sur l’affaire Yambo Ouologem. On se souviendra que l’écrivain malien reçut le prix Renaudot, pour son livre ‘’Le devoir de violence’’ (1968) dans lequel l’auteur s’insurgeait contre le mythe d’une Afrique précoloniale marquée par la non-violence et l’harmonie sociale. A la parution du livre, Ouologem fut accusé de plagiat et il s’écoula de longues années pour que l’on reconnaisse que l’inculpation n’était en rien fondée et qu’il convenait par conséquent de réhabiliter l’éminent écrivain malien. ‘’Ce roman, nous dit de bon droit Mongo-Mboussa, est sans doute le classique oublié que l’on devrait relire et méditer pour son actualité’’. La thématique de l’avenir de nos pays s’invite dans l’essai par le biais d’une question de l’auteur posée aux écrivains africains: comment voyez-vous l’avenir de l’Afrique? Ci-après les réponses données au cours d’interviews par trois figures emblématiques de la littérature africaine.

Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature en 1986: ‘’Eh bien…j’ai peur d’être désespéré. Vous savez, il y a un mois, j’étais en compagnie de Fidel Castro. Nous avons eu une longue discussion et nous avons parlé de l’Afrique…et il m’a soudainement posé cette question comme vous venez de le faire. J’ai répondu, franchement je dois vous avouer que j’ai parfois tendance à perdre espoir, tellement les problèmes sont énormes. Juste quand on se réjouit de la fin de l’apartheid, le sida arrive et nous décime…Oui parfois, j’ai tendance à perdre espoir. Et il a eu cette réponse: vous avez raison de perdre espoir parfois, mais vous n’avez pas le droit de le faire perdre. Cette phrase résume mon itinéraire’’.
Mongo Beti, auteur du ‘’Pauvre Christ de Bamba’’ (Robert Laffont, 1956): ‘’Je suis optimiste pour l’Afrique…Tôt ou tard l’Afrique se libérera du néocolonialisme et des tyrans’’. Cheickh Hamidou Kane, auteur de ‘’L’aventure ambigüe’’ (Julliard, 1961): ‘’Quand on compare ce qui a été acquis comme progrès depuis les indépendances en matière d’augmentation de taux de scolarisation, d’augmentation de la couverture médicale, d’augmentation des infrastructures routières, on se rend compte que l’Afrique a fait des progrès considérables’’.
Certes, serait-on tenté de répondre, la croissance économique de l’Afrique en termes d’indicateurs socio-économiques est là, palpable, et personne sur ce point ne saurait contester l’éminent écrivain. Mais quand on voit tous ces jeunes africains sombrer dans la mer en voulant atteindre ‘’la terre promise’’ d’Europe, il y a de quoi s’interroger sur l’avenir de l’Afrique.
Mongo-Mboussa consacre quelques passages de son essai à la négritude (Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Guy Tyrolen…), ce mouvement intellectuel de réhabilitation de la mémoire bafouée des populations négro-africaines. Une réhabilitation africaine qui, parfois, nous dit l’auteur, ‘’se réalise de façon violente, au point que Senghor, réputé pour sa mesure, menace de déchirer les rires Banania sur tous les murs de France ‘’Les rires Banania, c’est-à-dire ces affiches publicitaires de la musique de chocolat Banania, où l’on voyait un ‘’tirailleur sénégalais’’ sourire en s’exclamant ‘’Ya bo Banania’’.
L’essai de Mongo-Mboussa nous fait découvrir le romancier togolais Kossi Efoui, auteur de ‘’La fabrique des cérémonies’’ (Seuil, 2011), qui a ce mot assez contestable: ‘’Pour moi, la littérature africaine est quelque chose qui n’existe pas. Quand Sony Labou Tansi écrit, c’est Sony Labou Tansi qui écrit, ce n’est ni le Congo ni l’Afrique. On peut identifier un arrière-plan culturel, mais ce n’est pas une question littéraire-celle-ci est ailleurs’’.
Oui mais voilà, Sony Labou Tansi est bel et bien un Congolais et donc un Africain et son oeuvre littéraire, comme celle des autres écrivains du continent, exprime des problèmes que vivent bon nombre de pays africains (la tendance à l’hypertrophie du pouvoir politique dans la société, la frilosité des élites, le tribalisme, etc.), avec une approche culturelle et une sensibilité qui leur est particulière. Pour le dire autrement, la matière première des écrits de Sony Labou Tansi est bien le Congo et non la France ou un autre pays d’Europe. C’est en cela que ‘’La vie et demie’’ est un roman de la littérature africaine. Pour se risquer à un exemple, Dostroievski et Gogol n’eurent jamais écrit ‘’Les frères Karamazov’’ pour l’un et ‘’Les Ames mortes pour l’autre’’, s’ils n’avaient été Russes.
Mongo-Mboussa consacre un chapitre de son essai au génocide du Rwanda, prolongeant par là les écrits admirables d’auteurs pionniers comme Yolande Mukagasana, ‘’La mort ne veut pas de moi’’ (1997), Philip Gourevitch, ‘’Nous avons le plaisir de vous informer que demain nous seront tous tués avec notre famille’’… (1999), Jean Hatzfeld, ‘’Dans le nu de la vie, récits des marais rwandais’’ (2000). Les passages de l’essai sur le pays des mille collines viennent nous rappeler, une fois de plus, que les rivalités des puissances extérieures en Afrique sont souvent génératrices de violences extrêmes à l’endroit des populations civiles.
Un chapitre de l’ouvrage est également dédié au Congo, dans lequel l’auteur rend un bel hommage aux écrivains congolais qui, du moins pour un grand nombre d’entre eux, ont su conserver leur liberté de création face au pouvoir politique à l’époque du monopartisme. Mongo-Mboussa nous rappelle à l’occasion, que l’auteur de ‘’La vie et demie’’ beneficia durant sa phase ascendante du soutien de deux parrains littéraires, qui furent tout à la fois écrivains et hommes politiques sous la présidence Marien Ngouabi et Denis Sassou-Nguesso: Henri Lopes et Tati-Loutard. Cependant, ainsi que nous le montre l’oeuvre de Sony Labou Tansi dans son ensemble-pour le volet poétique, lire l’excellente somme publiée aux éditions du CNRS-parrainage ne l’empêcha guère de produire une oeuvre libre et ouvertement critique à l’endroit du politique.
On n’oubliera pas de conseiller la lecture de l’interview de Jean-Michel Devesa, un intellectuel et ami intime de Sony Labou Tansi, qui éclaire avec brio et de façon courageuse les deux dernières années de la vie de l’écrivain et de son épouse, 1994-1995, et certains aspects de sa production littéraire méconnus du large public.
Jean José MABOUNGOU