La chrétienté de l’archidiocèse de Brazzaville et du Congo s’apprête à commémorer le samedi 22 mars 2025, les 48 ans de l’assassinat du Cardinal Emile Biayenda. Il avait été enlevé dans sa villa, à l’archevêché, le mardi 22 mars 1977, par trois personnes venues à bord d’une jeep militaire pour une réunion avec le Comité militaire du Parti (C.M.P) à l’Etat-Major spécial révolutionnaire. A la sortie de l’archevêché, il est conduit à la montagne de Djiri, qui porte actuellement son nom, pour y être assassiné.

Pour la commémoration des 48 ans de sa disparition tragique, une neuvaine a été lancée dans toutes les paroisses, du 13 au 21 mars 2025, dont le point culminant sera la messe célébrée le samedi 22 mars à la Place mariale de la cathédrale Sacré-Cœur.
Une vie scolaire bien remplie
S’il était encore vivant, Emile Biayenda aurait cette année 98 ans, puisque né le 20 octobre 1927 à Malela-Bombé, près de Vinza, petit village de M’pangala, district de Kindamba, dans le Pool. Son père, Marie Albert Semo et sa mère Joséphine Biyéla. Le jeune Emile Biayenda fait ses études primaires à la mission catholique de Kindamba, de 1937 à 1942, et à Boundji dans la région de la Cuvette, de 1942 à 1944.
Sa vie de séminariste (1944-1959)

Il fait ses études secondaires au petit séminaire Saint-Paul de Mbamou, dans la région du Pool, de 1944 à 1950. Sa vie au séminaire a été marquée par une petite incartade dans le sens qu’une dame-jeanne avait été cassée et cela lui a coûté cher. Il prouvera son humilité et son obéissance au père directeur du séminaire, missionnaire au Congo. Le jeune Biayenda parcourait près de 200 km à pied, à travers monts et vallées, les forêts et les savanes, de jour comme de nuit, dans la prière, la supplication et le jeûne pour rejoindre son village natal de Maléla Bombé chez ses parents pour trouver la dame-jeanne de substitution exigée par le père directeur.
Après le petit séminaire, il est admis au grand séminaire Libermann de Brazzaville pour les études de philosophie et de théologie, de 1950 à 1959.
Sa vie ecclésiale: Presbytérale, épiscopale et cardinalice
(1958-1977)
Il est ordonné prêtre le 26 octobre 1958, par Mgr Michel Bernard, archevêque de Brazzaville. Dix-neuf ans de vie ecclésiale, soit douze ans de prêtrise et sept ans d’épiscopat dont quatre ans de Cardinalat. Depuis fort longtemps, la santé de Mgr Théophile Mbemba, archevêque métropolitain de Brazzaville, est précaire et son corps ne répond plus pour mener son activité apostolique. Il demande à Rome d’être secondé dans sa tâche et le Pape Paul VI accède à cette légitime demande. Il nomme le 7 mars 1970 l’abbé Emile Biayenda archevêque titulaire de Garba et coadjuteur de Brazzaville avec droit de succession. Le jeudi 26 mars 1970, à la messe chrismale célébrée en la cathédrale Sacré-Cœur, Mgr Théophile Mbemba annonce la nouvelle de la nomination de l’abbé Emile Biayenda à la charge épiscopale. Des applaudissements nourris et répétés ponctuèrent cette annonce qui sera relayée dans toutes les messes de ce jeudi Saint le soir dans les paroisses de l’archidiocèse de Brazzaville. Il est Sacré à Rome le 17 mai de la même année en la fête de la Pentecôte par Mgr Sergio Pignedoli, secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, en présence de Mgr Tagliaferri, nouveau nonce apostolique à Bangui (RCA). Il célèbre sa première messe pontificale le dimanche 19 septembre 1970, dans les jardins de l’archevêché avec comme parole de vie: «Sur ta parole, Seigneur, je jetterai le filet». A la mort de Mgr Théophile Mbemba le 14 juin 1971, Mgr Emile Biayenda succède au siège archiépiscopal métropolitain de Brazzaville. Mais, le début de son épiscopat ne sera pas du tout aisé puisque le Parti congolais du travail (PCT), parti Etat, et l’Armée populaire nationale (A.P.N), prennent la résolution de ne plus célébrer les messes et autres activités liturgiques dans les casernes militaires. C’est le début d’un bras de fer entre l’Armée et l’Eglise. Mais Mgr Emile Biayenda en sort victorieux après l’arbitrage du président Marien Ngouabi. Le vendredi 2 février 1973, l’extraordinaire nouvelle tombe et une joie remplit les cœurs de la chrétienté de Brazzaville, en particulier et du Congo, en général: le Pape Paul VI vient de le créer cardinal, à l’âge de 56 ans. C’est le tout premier dans l’histoire de l’Eglise du Congo et le plus jeune de l’Afrique noire francophone. Le décret papal signé le 18 janvier 1973 a été rendu public depuis Bangui par Mgr Tagliaferri, nonce apostolique. Voici les termes de ce décret: «Cher fils, salut et bénédiction apostolique. Par ces lettres nous portons à votre connaissance que dans notre prochain consistoire vous serez agrégé au Sacré collège des Eminentissimes cardinaux; ceci afin de témoigner à votre personne de notre spéciale bienveillance et de marquer par le don de cette insigne dignité vos mérites au service de l’Eglise. Nous vous accordons de tout cœur notre bénédiction apostolique dans le Seigneur. Du Vatican le 18 janvier 1973, la dixième année de notre Pontificat. Paul XI, Pape».
De retour au pays le 20 mai 1973 après qu’il ait reçu la barrette cardinalice des mains du Pape, le gouvernement lui décerne la distinction de la médaille de commandeur dans l’ordre du mérite congolais. En sept ans d’épiscopat, dont quatre ans de cardinalat, il a ordonné sept prêtres et reçu les vœux des religieuses. Pour le presbytérat, il s’agit du père Ernest Kombo de la Congrégation des jésuites ordonné le 8 juillet 1973 en la Basilique Sainte-Anne du Congo et qui deviendra plus tard évêque de (Nkayi, Pointe-Noire et Owando), et l’abbé Anatole Milandou ordonné le 23 juin 1974 en l’église Sainte Monique de Kinkala et qui deviendra plus tard évêque auxiliaire de Brazzaville, évêque de Kinkala puis archevêque de Brazzaville. Aussi, les vœux perpétuels des religieuses Marie Brigitte Yengo et Marie Jeanne Ndissa de l’institut des sœurs du rosaire, le dimanche 20 février 1977 en la cathédrale Sacré-Cœur de Brazzaville.
Une vie toute donnée à Dieu
Il est torturé pour la première fois par la gendarmerie pendant qu’il assumait les fonctions de curé de la paroisse Saint Jean-Marie Vianney de Mouleké et emprisonné. Ses seuls artifices étaient le chapelet, le corps du Christ et le bréviaire. Sa foi, sa sensibilité, toujours à l’écoute de son peuple et sa destinée divine le portent au sommet du sacerdoce grâce à son élévation au rang d’évêque d’abord, et au cardinalat ensuite (dixit sr Marie Brigitte Yengo, présidente de la fondation Cardinal Emile Biayenda «FOCEB» à travers une bande dessinée intitulée: «Serviteur de Dieu», conçue en 2008 à l’occasion des 31 ans du martyre du Cardinal).
Etudes supérieures (1965-1969)
De 1965 à 1969, il fait ses études supérieures à la Faculté catholique de Lyon (France), sanctionnées par une Licence en théologie et un Doctorat en sciences sociales.
Vicaire et vicaire épiscopal (1969-1970)
Il occupe successivement les fonctions de vicaire de la paroisse Sainte Marie de Ouenzé (1958-1962) et de curé de la paroisse Saint Jean-Marie Vianney de Mouleké (1962-1965). Entretemps, de 1960 à 1965, il a été responsable diocésain de la Légion de Marie. Après les études à Lyon, il rentre au pays en mai 1969. Il est nommé vicaire de la paroisse Saint-Esprit de Moungali. Puis, le 18 février 1970 vicaire épiscopal, chargé des œuvres d’apostolat et commissions diocésaines.
Les tristes jours de mars 1977
Ceux-ci restent pour beaucoup de Congolais une période inoubliable et ensanglantée. Une période sombre de l’histoire du Congo avec son cortège de malheurs. Des martyrs de l’intolérance assassinés: le président Marien Ngouabi, le 18 mars; le Cardinal Emile Biayenda, le 22 mars, et le président Alphonse Massamba Débat exécuté sommairement le vendredi 25 mars au matin, à la suite de sa condamnation à la peine de mort par une cour martiale mise en place le samedi 19 mars 1977 par le Comité militaire du Parti (C.M.P). Ces assassinats laissent perplexe. En effet, mars 1977 reste un mois sombre et inoubliable pour les Congolais; un mois de consternation, de stupeur, d’intense émotion, de souffrance, de tristesse, de désespoir qui a ouvert le chemin de la violence aveugle pour perturber la vie, la paix et l’unité nationale du pays.
Comme les autres villes du pays Brazzaville et le peuple Congolais étaient plongés dans le deuil, dans les larmes et ont vécu des heures de tragédie. Ce triple deuil a ouvert les yeux aux chrétiens sur la Passion, la mort et la résurrection de notre sauveur et Seigneur Jésus-Christ.
Le récit de la journée du vendredi 18 mars
Une partie du couvent des sœurs de Saint Joseph de Cluny à Javouhey, en face de l’Etat-Major, au centre-ville de Brazzaville était menacée d’expropriation. Le Cardinal Emile Biayenda, l’abbé Louis Badila, vicaire général et les sœurs de Saint-Joseph de Cluny s’étaient rendus à l’Etat-Major pour une audience avec le président de la République. Cette audience qui était bel et bien programmée durera une heure, soit de 12h30 à 13h30 avec un mot de réconfort du président aux sœurs: «Je veillerai à ce que cela ne se fasse pas, car vous êtes les Mères qui formez nos épouses et nos enfants…». Une heure après l’audience, à 14h30, le président est assassiné par des hommes en armes. Malheureusement, on s’en prit aux hommes d’Eglise, en menaçant de les faire tuer. Mis au courant de ce funeste projet, le Cardinal répliqua: «Je ne fuirai nulle part au risque de laisser mon clergé et mon Eglise en péril. J’y suis, j’y reste». Sans pitié et sans vergogne, le Cardinal fut enlevé et assassiné dans la nuit du mardi 22 mars 1977. Le peuple Congolais portait un double deuil avec deux brassards sur les bras, l’un en noir pour le président de la République et l’autre en blanc pour les croyants pour le Cardinal. A propos de l’assassinat du président Marien Ngouabi, le Cardinal Emile Biayenda implorait: «A tous nos frères croyants, du nord, du centre et du sud, en souvenir du président Marien Ngouabi, nous demandons beaucoup de calme, de fraternité et de confiance en Dieu, Père de toutes races et de toutes tribus, afin qu’aucun geste déraisonnable ne puisse compromettre un climat de paix que nous souhaitons tous».
Cet appel fut lancé le mardi 22 mars 1977, au cours d’une réunion du Conseil œcuménique des Eglises chrétiennes du Congo. Emotion, consternation, méditation et prière du chapelet gagnaient les fidèles dans toutes les paroisses de l’archidiocèse de Brazzaville et du Congo. La messe des funérailles célébrée par le Cardinal Joseph Malula, archevêque de Kinshasa (République du Zaïre), a eu lieu le dimanche 27 mars 1977 dans les jardins de l’archevêché, place Mgr Augouard. En présence du délégué apostolique et de plusieurs évêques d’Afrique.
Désormais, les yeux sont tournés vers la béatification et la canonisation de ce prélat martyr.
Pascal BIOZI KIMINOU
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