À l’Église Famille de Dieu qui est en Afrique Centrale
Aux Jeunes
Aux Familles
Aux Institutions politiques et diplomatiques
Aux Organisations gouvernementales et non-gouvernementales
Aux Hommes et Femmes de bonne volonté
«À vous, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ» (Ephésiens 1, 2).

Préambule
Nous, Évêques Membres de l’Association des Conférences Épiscopales de la Région d’Afrique Centrale (ACERAC), réunis à Mongomo en Guinée Équatoriale, dans le cadre de notre XIIe Assemblée Plénière Ordinaire, du 17 au 24 juillet 2022, avons choisi de nous appesantir cette fois-ci sur le phénomène du mouvement migratoire des jeunes dans notre sous-Région.
En effet, les mouvements migratoires, qui sont aussi vieux que le monde, ont malheureusement pris un tournant de plus en plus dramatique ces dernières décennies; notamment, concernant la jeunesse africaine, en général, et celle de notre sous-Région d’Afrique Centrale, en particulier.
L’Église s’est toujours préoccupée de la question migratoire et a développé un enseignement doctrinal qui constitue le fondement de la pastorale des migrants. S’inscrivant dans cette tradition ecclésiale, le Pape François s’est particulièrement illustré ces dernières années comme un pasteur et un prophète engagés au plus haut point pour la cause des migrants et des réfugiés.
Son homélie du 8 juillet 2013 à Lampedusa a sonné comme un cri d’alarme qui a ému le monde entier. Son Exhortation apostolique post-synodale aux jeunes et à tout le peuple de Dieu Christus vivit (25 mars 2019) et sa Lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale Fratelli tutti (3 octobre 2020) en font un large écho
À la suite du Saint-Père, le Pape François, nous nous indignons également de ce que ce phénomène qui, chaque jour, se révèle davantage comme un véritable enfer et tourne au cauchemar pour les jeunes qui s’y engagent, semble paradoxalement se banaliser, au point de ne plus susciter suffisamment de compassion susceptible de mobiliser l’élan de solidarité escompté, de la part de la Communauté Internationale. Aussi, avons-nous pensé devoir réfléchir sur ledit phénomène, en focalisant notre attention sur le cas particulier de notre jeunesse d’Afrique centrale car nous pouvons dire comme le Seigneur face à la souffrance de son peuple réduit en esclavage en Égypte: «Maintenant, le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi» (Exode 3, 9a). Au terme de nos assises, nous vous adressons le présent message.

1. Intérêt et actualité de la thématique abordée
Le phénomène migratoire constitue, en cette première moitié du 3e millénaire, un véritable drame pour l’Afrique en général, et pour l’Afrique centrale en particulier.
De fait, les statistiques de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) estiment à 14,1 % les migrations africaines au niveau international. On compte 24 millions de réfugiés et de demandeurs d’asile, avec une projection de 34 millions de migrants africains dans le monde d’ici à l’an 2050, si rien n’est fait pour inverser la tendance. Ce qui montre à suffisance à quel point le continent est profondément affecté par ce phénomène. Son ampleur est sans cesse croissante et ce, en dépit de la crise de la COVID 19 qui, ces deux dernières années (2020-2022) aurait pu diminuer son expansion.
Les dangers encourus le long des itinéraires empruntés, entre autres, le désert du Sahara, la maltraitance et les risques de naufrage dans la Méditerranée, sont loin de constituer des facteurs de dissuasion pour les candidats, de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux.
Les jeunes éprouvent un désir ardent et irrésistible de partir; ils veulent à tout prix gagner l’Occident, rêve comme un Eldorado. Ceux-ci pensent y trouver la possibilité de réaliser tous les projets d’une vie.
Notre Assemblée plénière a, par ailleurs, mis en lumière les défis de la dimension interne, encore plus importante, des flux migratoires (40 millions de déplacés à l’intérieur des pays du continent). Sans être exhaustifs nous pouvons citer, entre autres, l’exode rural, les déplacés climatiques, les personnes qui fuient les conflits armés et le terrorisme.

2. Le phénomène migratoire, un drame pour l’Afrique, en général, et dans la sous-Région d’Afrique centrale, en particulier
Au regard de la réalité ainsi constatée, les pays de la sous-Région apparaissent comme l’un des principaux foyers des candidats à l’aventure migratoire.
Les Évêques d’Afrique centrale, loin de se contenter d’une indignation désabusée et d’un fatalisme résigné, se sont saisis de la question, en vue d’un accompagnement pastoral plus efficace au bénéfice des victimes les plus vulnérables, prises au cas par cas, et d’un engagement prophétique résolu, notamment, dans la lutte contre les dérives liées à ce phénomène.
La prise de conscience de l’ampleur dudit phénomène a déjà suscité diverses initiatives dans plusieurs diocèses de la sous-Région. Malgré cet engagement assez louable, ces initiatives s’avèrent insuffisantes face à la gravité de la situation.
En plus de cet engagement pastoral des Églises locales, nous, Évêques, félicitons et encourageons l’action de la Communauté Internationale, de la Société Civile, des organismes publics et autres, dans le domaine.

3. Interpellations, orientations et propositions Après avoir écouté les représentants des jeunes au cours de nos assises, et ayant stigmatisé la violation des droits et de la dignité humaine des migrants, puis souligné la légitimité du droit à la non-migration, nous, Évêques, formulons les interpellations et propositions suivantes:

a. Aux Églises de l’ACERAC
L’Église, lumière du monde et sacrement universel du salut, et devant se considérer comme le lieu par excellence d’interpellation et de questionnement sur le phénomène migratoire des jeunes en quête de bonheur et de prospérité, est invitée à: – développer davantage une pastorale sous-régionale d’écoute et d’intégration des jeunes, en vue d’un dialogue qui va au-delà de l’aspect émotionnel pour intégrer également la dimension rationnelle; – promouvoir un engagement déterminé et permanent, notamment, à travers la réhabilitation de la plate-forme sous-régionale de la pastorale des jeunes et la création de la commission ACERAC pour la pastorale des migrants et des réfugiés; – renforcer la pastorale des jeunes dans les pays de la sous-Région et dans les différents diocèses; proposer des outils ecclésiaux à même d’aider les jeunesses locales à combattre les dérives morales liées à la modernité et à rejeter énergiquement l’appel à l’aventure migratoire; – créer une structure sous-régionale consacrée à la promotion et au développement de la solidarité et de la charité envers les plus vulnérables, par la mise en place, entre autres, d’une Caritas sous-régionale; – restructurer et repréciser les missions de la Commission justice et paix de l’ACERAC, en lien avec les problématiques migratoires; – opérer un véritable relais de l’action de la Section Migrants et Réfugiés du Dicastère pour le service du développement humain intégral, avec une organisation plus efficiente de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié; – mettre en place une plate-forme médiatique pour une meilleure coordination des organes de communication et d’information des Églises locales; – développer des activités de recherche sur le phénomène migratoire en Afrique, dans les Instituts supérieurs ecclésiaux, par exemple, par la création d’un laboratoire de recherche dédié à ces problématiques, au sein de l’Université Catholique d’Afrique Centrale; – redynamiser la pastorale de la famille, tout en tenant compte que la famille reste la cellule de base de l’éducation des jeunes; – mettre en place une pastorale conséquente et cohérente pour les gens de la route et dans les espaces qui connaissent des rassemblements et mouvements importants de populations, à savoir, les ports, les aéroports, les gares ferroviaires et routières… ; – faire des plaidoyers en faveur des jeunes auprès des États de la CEMAC, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, des organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales, des Conférences épiscopales de l’Occident; – promouvoir des échanges d’expérience pastorale et mettre en œuvre des actions communes entre associations des Conférences épiscopales d’Afrique; entreprendre une collaboration plus profonde entre les Diocèses de l’ACERAC (d’où partent les jeunes migrants) et les Églises qui les accueillent en Afrique du Nord notamment; – dans le cadre du dialogue interreligieux, notamment islamo-chrétien, sensibiliser les différents responsables sur le respect du droit à la liberté religieuse; – inviter les Églises d’Afrique du Nord, et même celles du Moyen-Orient, à dénoncer les multiples dérives inhérentes aux migrations clandestines qui se déroulent sur leur sol et à interpeler leurs États respectifs, quant à l’accueil, et au respect de la dignité humaine des jeunes migrants d’Afrique noire qui s’y trouvent en situation de transit, ou qui s’y sont installés par devers eux; – susciter des échanges avec les Dicastères romains du service du développement humain intégral, de l’éducation catholique, de l’évangélisation des peuples…, sans oublier les structures de l’Union Européenne, en vue d’une coopération et d’une prise en charge commune des problèmes concernant le phénomène migratoire des jeunes en Afrique; – en appeler aux Églises du Nord, dans un esprit de communion, à relayer les efforts des Églises du Sud, en l’occurrence celles de l’ACERAC, dans la prise en charge pastorale du phénomène migratoire, en interpellant les instances gouvernementales de leurs pays respectifs, en ce qui concerne la prévention du phénomène migratoire, l’accueil et l’intégration des migrants.

b. Aux États et aux gouvernants:
Les États et les gouvernants, dans leur mission régalienne d’assurer la sécurité des biens et des personnes, et de promouvoir le bien commun, sont appelés à: – protéger les droits et la dignité des migrants et des réfugiés; – mettre en place un Observatoire sous régional qui aide à cerner les flux migratoires ainsi qu’à définir une politique de prévention contre les dérives de ce phénomène; – s’engager résolument, à travers des actions efficaces et concertées – entre agences sécuritaires, structures sociales, systèmes juridiques, instances sanitaires… –, à la réduction des migrations clandestines au plan international ainsi que des flux migratoires massifs à l’intérieur des États de la sous-Région; – encourager l’intensification de la lutte contre la corruption ainsi que contre toutes formes de spoliations et de détournements des biens publics à des fins privées: – développer une véritable politique d’intégration et d’encadrement des jeunes (éducation, création d’emplois, organisation de loisirs sains et promotion du tourisme…); afin, d’une part, d’acquérir les valeurs humaines fondamentales, et, d’autre part, de mieux connaître leur pays et d’aimer leur patrie; – interpeler les gouvernements d’Afrique centrale à résoudre, autant que possible, les conflits et les différentes crises qui jettent la jeunesse sur les routes de la migration sauvage; – développer des systèmes éducatifs à même de répondre aux attentes des sociétés locales et de promouvoir l’auto-emploi; – revaloriser les savoir-faire qui contribuent pratiquement au développement de nos pays, promouvoir la formation et l’organisation des métiers comme l’agriculture, l’élevage, la menuiserie, la mécanique, la maçonnerie…

c. À la Communauté internationale:
La Communauté internationale, dans la recherche d’un ordre international plus juste et plus équitable, est appelée à: – s’engager dans la lutte pour la reconnaissance et le respect des droits des migrants et des réfugiés; – faire de l’obtention du visa un droit pour les personnes qui en remplissent les critères, afin de minimiser les risques de la tentation à l’immigration clandestine.

d. Aux Familles:
Les familles, comme cellules fondamentales et lieux par excellence d’éducation des enfants et des jeunes, sont appelées à intégrer, dans leur responsabilité éducative, les valeurs de base qui constituent le socle des sociétés traditionnelles africaines et assurent leur stabilité dans le temps. – Elles doivent transmettre aux enfants et aux jeunes, les normes morales et les préceptes chrétiens pour une véritable maturité humaine et spirituelle. – Elles devraient veiller à la croissance des jeunes, en collaboration étroite avec les autres structures d’encadrement et d’éducation aussi bien de l’État que de l’Église. – Elles ne devraient pas encourager leurs enfants à partir à «tout prix».

e. Aux Jeunes:
À vous chers jeunes, trésors du présent et de l’avenir de la sous-Région, nous, Évêques d’Afrique centrale, tenons, avant tout, à vous garantir notre proximité et à vous rappeler que nous sommes et restons vos pères. À ce titre, nous souffrons, du plus profond de nos entrailles, à cause des traitements déshumanisants qui sont infligés à bon nombre d’entre vous en recherche d’un avenir meilleur. Ainsi, nous vous invitons à: – approfondir l’ancrage dans la foi en Jésus-Christ: «Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît», dit le Seigneur (Matthieu 6, 33); – redécouvrir l’importance des authentiques valeurs africaines à la lumière de l’Évangile; – cultiver le culte de l’effort et du travail, au détriment de la culture de la réussite facile et contre les dangers des alouettes du mirage occidental; – ne pas s’enfermer dans une mentalité de la recherche effrénée du bien personnel, mais plutôt savoir, autant que faire se peut, se rendre disponible à l’engagement caritatif; – être conscient et faire attention aux nouvelles formes d’esclavages organisées par des réseaux mafieux qui vous rassurent au départ, mais vous conduisent vers un enfer insoupçonné: «Mon peuple périt faute de connaissance», nous dit le Prophète (Osée 4, 6); – rester extrêmement vigilants à ne pas entreprendre d’aventure hors de vos pays sans soutien familial ou de l’État, bref sans démarche légale car le paradis qu’on vous fait miroiter devient souvent au bout un chemin d’aller sans retour, une entreprise périlleuse.
Conclusion
Au terme de nos travaux, il nous est clairement apparu que le phénomène migratoire, en Afrique centrale, constitue un signe des temps majeurs et exprime un malaise social très grave.
Au-delà du cadre théorique de notre réflexion, l’heure est désormais à l’engagement concret, pour lutter plus efficacement contre les dérives relatives à ce phénomène.
Pour ce faire, l’élaboration d’un guide pastoral et d’un plan d’action paraît plus qu’urgente; et ce, sur la base des quatre verbes énoncés par le Pape François dans son Message pour la Journée mondiale du migrant et du réfugié de l’année 2018, à savoir: accueillir, protéger, promouvoir et intégrer.
Puisse le Seigneur, le protecteur de tout migrant, veiller sur ceux qui sont déjà engagés dans cette aventure et inspirer ceux qui en ont la tentation. Qu’il bénisse abondamment notre jeunesse et accorde la paix à nos Églises et à nos États de la sous-Région.

Donné à Mongomo, en la Basilique de l’Immaculée Conception, le 24 Juillet 2022.

Pour l’ACERAC, le Président