Finalement, le rêve d’une Afrique conquérant le monde par la Rumba, «Africa mokili mobimba», tel que l’avaient caressé, en leur temps, ses pères, de Paul Kamba à Joseph Kabasele, dit Grand Kallé, en passant par Wendo Kolossoy… dans leur vision internationaliste de la musique, ne restera qu’un rêve à jamais! Car, la jeune génération des musiciens, héritière de leur immense œuvre, et dont on espérait qu’elle réalisât ce rêve, semble avoir compromis son accomplissement, en se perdant dans les méandres, sans horizon, des querelles de clochers.

Fondé sur l’idée de partage et de l’universalisme, ce rêve ne mérite-t-il pas d’être revisité, à la lumière de notre époque, malgré l’exacerbation de la concurrence, venue des sonorités d’ailleurs, notamment de l’univers anglophone?

I-Quand les musiciens lâchent la proie pour l’ombre!
Normalement, l’activité musicale se déploie sans entraves, du fait de la liberté artistique reconnue aux musiciens. Toutefois, dans nos sociétés dites régulées, cette liberté ne saurait se concevoir absolue. Ainsi, connait-elle quelques restrictions dictées par le bon sens et la bienséance. S’agissant de la Rumba, celle-ci est censée véhiculer les valeurs de sa racine: le «Kimuntu». Un concept philosophique, lourd de préceptes, propres à la société Kongo.
Rappelons que cette dernière a rayonné dans les territoires actuels du nord de l’Angola, du sud de la République du Congo, de l’extrémité occidentale de la République Démocratique du Congo et du sud du Gabon. Le musicien Don Fadel en parle dans son excellent ouvrage «Rumba-Origine et évolution», paru chez L’Harmattan, en 2021.
Or, que nous donne à voir la réalité? Un désolant spectacle de bric et de broc, où certains musiciens, se réclamant pourtant de la rumba, heurtent régulièrement, de plein fouet, les bonnes mœurs, par soif d’audience.
Ayant érigé la transgression et le racolage en fonds de commerce, ils n’hésitent pas à instrumentaliser l’intimité des femmes, pour se faire du beurre!
Devenu banal, le phénomène s’est particulièrement aggravé depuis l’avènement, ces derniers temp,s des DJ-musiciens! Aidés en cela, il est vrai par une certaine presse, notamment télévisuelle, auxiliaire opportuniste, de mauvais aloi, qui en fait, elle aussi ses choux gras. Mais, mesurent-ils seulement l’ampleur du préjudice qu’ils causent ainsi, injustement et indistinctement, à l’ensemble d’une corporation?
Paraphrasant Rabelais, n’est-ce pas, ici, le lieu de rappeler que la science, sans la conscience, n’est jamais que ruine de l’âme?
Mais dans cette affaire, le public est aussi à blâmer. Friand de bêtise, il s’empresse goulûment à tout avaler, en secret par des «Like» tous azimuts. Et pour s’en plaindre hypocritement, ensuite, disant qu’on ne peut plus suivre les émissions en famille! Cherchez l’erreur. Décidemment, le public n’a que les artistes qu’il mérite!

II-La querelle des écuries musicales: une vulgarité devenue «sport national»
Si la concurrence saine et libre entre groupes musicaux existe depuis la nuit des temps, parce qu’elle stimule la créativité et l’émulation, la tournure qu’elle prend, de nos jours, frise le ridicule. Certains musiciens avides de buzz, mais visiblement en panne d’inspiration, s’en prennent, violemment à leurs «confrères» dans les médias, en lieu et place de la confraternité attendue! La bêtise atteignant son paroxysme lorsque, dans la fureur du mal, ils poussent le bouchon jusqu’ à se «jeter des peaux de banane», pour saborder les affaires de leurs confrères. Et lorsqu’ils n’exécutent pas la besogne de leurs propres «mains», ils la font sous-traiter à leurs fans clubs, transformés en nervis pour la circonstance.
Gageons qu’au moment où nous mettons sous presse, quelques officines en sont à comploter sur les stratégies de boycott, par exemple, du prochain concert de Koffi Olomidé de Paris la Défense Aréna, et que d’autres en sont à conspirer contre «Vision», le prochain album d’Extra Musica Nouvel horizon.
Autant d’énergie inutilement et obscurément investie «Mayéla mabé», dans de malfaisants projets, dignes de la plus basse barbouzerie!
Confinant à la sorcellerie «ki ndoki», ce vilain climat donne une éblouissante actualité aux interrogations de Kiamwangana Mateta Verckys, dans sa légendaire chanson «Nakomitunaka». Noir de peau, noir de cœur? La communauté congolaise des deux rives en serait donc condamnée à la «timimbilité»? Le «mauvais cœur», en kituba, langue parlée, notamment dans le Bassin du Congo, le terme dérivant de «Ntima»: cœur et de «Imbi»: mauvais.
Toute différente est l’atmosphère régnant dans le milieu ouest-africain, par exemple, où l’on voit les musiciens se serrer les coudes, dans une sorte d’unité de destin, qui ne peut que les renforcer.
Sans plaider pour le retour à l’ordre moral, avec son sinistre corollaire la censure, nous en appelons vivement à un «sursaut des consciences» des musiciens, pour qu’ils repensent et habillent autrement leur rapport à la musique et à la société. Un impératif catégorique pour gagner le défi de l’expansion de la rumba et du redressement moral qu’impose la lutte contre les antivaleurs.

Guy Francis TSIEHELA
Journaliste chroniqueur musical