Rappelé à Dieu dimanche 21 mars dans sa 66e année de vie et sa 39e de vie presbytérale, Joachim Babingui-Kouayila était un prêtre social, rigoureux et ferme. Après son ordination sacerdotale avec les abbés Albert Nkoumbou ‘’Ya Sourire’’ et Olivier Massamba-Loubélo, il est missionné, avec eux, au Petit séminaire St Paul de Mbamou, d’octobre 1981 à août 1983, en qualité d’économe et d’enseignant. Il était notre professeur de physique et de chimie en classes de 4e et de 3e.

L’abbé Babingui-Kouayila m’avait impressionné de par l’attention qu’il me portait. Témoin de mes joies et difficultés, de mes choix dans ma prime jeunesse et adolescence, il tint à connaître ma famille. Ayant convaincu mes parents, il venait me chercher toutes les grandes vacances pour les passer avec lui au Petit séminaire de Mbamou. Une façon, selon lui, de me faire découvrir l’autre face du séminaire. Pendant cette période de mise au vert, il était toujours sur le terrain avec moi, parfois avec d’autres séminaristes natifs de ce patelin pour voler au secours des malades, des personnes brûlées ou accidentées. Il n’était pas surprenant de le voir suspendre promptement son déjeuner, pour aller donner le sacrement d’extrême onction à une croquante ou un croquant mourant ou secourir un épileptique brûlé laissé seul dans un lointain village. Son côté humain était vrai, même si nous redoutons sa rigueur au point de le surnommer ‘’sa cayadité 1er’’ (néologisme créé par les petits séminaristes que nous étions à partir du mot caïd).
En fraternisant avec lui, je savais que cette amitié serait bénéfique. Il a eu l’intelligence de me faire avancer vers le Christ, d’affiner ma foi, de me faire découvrir les délices de la lecture et la beauté du chant religieux bien que je ne sois point un bon chantre.
Ma rencontre avec l’abbé Joachim a bouleversé une bonne partie de ma vie; le goût de la bonne musique religieuse, de la bonne littérature, c’est à lui que je le dois en partie. Il m’a fait découvrir et aimer la musique classique, un chantre religieux et non des moindres, John Littleton et de bons écrivains comme Marcel Pagnol, Homère, Bernard B. Dadié…Merci ‘‘Ya’’ Joachim!
Il y a plus de trente ans, au cœur d’une période difficile de ma vocation sacerdotale aux Petit et Moyen séminaires, pleine de questionnements, de doutes et de désespérance, il a été mon prêtre confident. Il me souffla cette formule: «Passe du pourquoi au comment» Autrement dit, arrête de te demander «pourquoi cela t’arrive, pourquoi toi…?», mais dis-toi «Comment faire avec ça? Après ça?» À l’image du Christ, il n’a cessé de m’interroger, de me faire m’interroger même quand il était vicaire à la paroisse Notre-Dame du Rosaire de Bacongo. Comme le Christ, il a retourné la question pour me faire voir le côté sublime du sacerdoce, me parlant avec ses tripes de l’Évangile à partir de sa vie, de son expérience d’enfant de la brousse de Mindouli. En vain.
De guerre lasse, tel un prophète, dans son bureau de vicaire à la paroisse Notre-Dame du Rosaire, il me fit sur une feuille un schéma de la vie avec toutes les embûches qui m’attendraient, en m’apprenant à avoir une foi simple en Jésus et à avoir confiance en ce que Dieu pouvait tout, avec Amour. Ce schéma, je l’ai vécu et continue à le vivre.
‘‘Ya’’ Joachim, malgré sa rigueur, ‘’ses pis et pans’’ (coups de chicotte en classe et pendant les classes de chant) que d’aucuns de notre promotion n’appréciaient pas, était ouvert, bon et montrait de l’intérêt pour les enfants pauvres et leurs familles. Tout simplement. Rien d’extraordinaire, juste une présence. Une présence silencieuse et de l’écoute. C’est ce qu’il a été dans des familles qu’il a côtoyées et parmi ses amis prêtres. Il manifestait largement sa gratitude et son admiration pour les personnes qui lui avaient fait du bien. Par sa rigueur, sa fermeté, son sourire et son humour, il a semé l’Espérance à sa manière.
Souriant et joyeusement réservé, il était capable de colères, généralement froides mais parfois aussi terriblement volcaniques. Parce qu’à l’instar du Christ, il n’était pas indifférent au sort du monde et parce qu’il avait, comme chacun, besoin de se convertir.
Mais, derrière son apparence rigoureuse et ferme, il y avait un remarquable esprit d’enfance, toujours prêt à s’émerveiller et à entrer dans une relation confiante et joyeuse. La joie sur les lèvres, il était toujours prêt à lancer une louange, un refrain ou un ton de psaume, entraînant son entourage vers l’essentiel, la relation à Dieu, source de tout bien. Sa fidélité à la louange était un vécu littéral de sa parole de vie sacerdotale: «Reste fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie» (Ap 2, 10). Une ferveur de sa réponse à l’appel du Seigneur, qu’il a vécu dignement, avec persévérance, beaucoup d’humilité et de patience.
Sportif aimant le basket, il donna de son temps pour structurer l’équipe de basket Ball du petit séminaire St Paul de Mbamou, avec les Dieudonné Bantsimba, Guy Médard Nkounkou (décédé), Sonzo, Bertin Fouéti actuel vicaire général de Kinkala, Vincent de Paul Malonga, aujourd’hui prêtre, Mesmin Massengo, actuel curé de la paroisse Notre-Dame du Rosaire de Bacongo… Cette équipe brilla des mille feux aux jeux de l’ONSSU 1982 organisés à Kinkala, dans le département du Pool.
Exigeant avec les autres comme avec lui-même, il aimait étudier et découvrir. Toujours avec sa Bible, sa bibliothèque reste dans ma mémoire pour sa richesse et son désordre. Je retiendrai de lui ses enseignements, à un moment de ma vie où je me cherchais, et son humour au moment où j’avais maille à partir avec ma vie.

Un dévot de la vierge Marie

«Nul n’est prêtre de Jésus-Christ qui ne soit enfant de Marie», aimait-il me dire quand je m’étonnais de la récitation du chapelet sur le trajet Mbamou-Brazzaville-Mbamou que nous prenions en véhicule, de jour comme de nuit, sur l’ancien tracé de la nationale 1. Il avait une profonde dévotion mariale. Il m’est avis qu’il avait découvert le vrai visage de la Vierge Marie. Cette Mère que les plus grands artistes ont peinte, sculptée, chantée avec génie. Et ce n’est pas hasard si, avec l’aide de M. Pascal Bassouéka, il fit entrer la chorale Notre-Dame du Rosaire en studio à l’Industrie africaine du disque (IAD) pour un enregistrement audio, dont la plupart des chants étaient à l’honneur de Marie.
Sa vie, sa mort nous disent: il n’y a pas de profil standard pour un prêtre. Il n’y a pas un seul modèle de prêtre, il y a de nombreux prêtres modèles.
L’abbé Joachim a été inhumé au cimetière de la cathédrale Sacré Coeur, mercredi 7 avril 2021.
Adieu ‘‘Ya’’ Joachim! Que brille pour toi la Lumière sans déclin!

Viclaire MALONGA