Paru le 14 octobre 2021 aux éditions L’Harmattan de Paris et préfacé par le cardinal Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, le nouvel ouvrage de l’abbé Fabrice N’semi s’intitule: «La théologie prophétique de Joseph Ratzinger/ Benoît XVI: fondements, histoire et actualité». C’est un essai d’une teneur épistémologique et théologique manifeste qui, de fait, mérite l’attention de toute l’Église, des pasteurs, des laïcs et du monde de la recherche.

Divisé en trois grandes parties qui s’articulent en neuf chapitres, ce livre présente un triple avantage qu’il sied de relever: il offre les fondements, l’histoire et l’actualité d’une théologie prophétique à la lumière des écrits de Joseph Ratzinger/Benoît XVI que nombre de chercheurs présentent comme le «Mozart de la théologie post-concilaire». D’abord, la première partie traite des fondements scripturaires en présentant les traits majeurs et la complexité du phénomène prophétique à travers le prophétisme biblique et extrabiblique. Ensuite, la deuxième partie met en lumière la réception du message prophétique et sa compréhension par L’Eglise, notamment à travers le témoignage éloquent des pères de l’Eglise. Enfin, la troisième partie livre les éléments d’orientation concrète d’une théologie prophétique chez Joseph Ratzinger/Benoît XVI, en particulier sa spécificité et son originalité. En effet, cette théologie prophétique est à cerner dans l’articulation de sa christologie avec sa pneumatologie, son ecclésiologie et sa théologie des ministères. En d’autres termes, c’est dans la personne et la mission de Jésus-Christ, le rôle et la fonction du Saint-Esprit, la mission essentielle de l’Eglise et dans l’exercice de nos responsabilités comme chrétiens qu’il faille saisir la théologie prophétique chez Joseph Ratzinger/Benoît XVI.
Par ailleurs, sur la base de ses recherches théologiques avérées et comme en témoignent ses ouvrages publiés en 2013 (Lecture d’Africae munus du Pape Benoît XVI. Éléments d’une théologie prophétique en Afrique, Paris, L’Harmattan), en 2016 (L’Eglise à l’épreuve de l’histoire au Congo. Identité, responsabilité et défis, Paris, L’Harmattan), sans oublier moult articles dans des revues scientifiques, l’abbé Fabrice N’semi fait de l’axe prophétique un champ d’investigation théologique privilégié qui enrichit l’articulation du donné révélé et nourrit les raisons de croire et d’espérer. C’est sans doute pour cette raison qu’on remarque pertinemment, en lisant cet essai, la rigueur heuristique qu’il dégage, surtout qu’il s’agit de la délicate et épineuse question du prophétisme qui, comme l’a souligné le préfacier, présente «des formes d’expression et d’interprétation […] et même des pirouettes para-théologiques».
Tout en maniant l’entreprise réflexive et l’épaisseur analytique, ce livre se projette, s’interroge aussi sur l’avenir de l’humanité. En effet, dans un monde infecté et infesté par la dégradation de la vie sociale, les problèmes économiques, politiques, écologiques, sanitaires et identitaires, l’urgence d’un engagement prophétique empreint d’inventivité (au sens Santedien du terme) et de créativité n’est plus à démontrer. C’est ainsi que pour mieux repenser notre vocation à l’engagement dans nos contextes socio-culturels divers, l’abbé Fabrice propose une source d’inspiration, à savoir l’école des prophètes qui nous enseigne «la grammaire de la vérité, l’orthographe du courage et la conjugaison des efforts». En dégustant la saveur de cet ouvrage, nous découvrons au fond que son auteur propose la théologie prophétique comme une option épistémologique qui se fait attentive aux signes des temps, c’est-à-dire aux impératifs présents et futurs. C’est une option théologique qui appelle et rappelle notre sens d’engagement et de responsabilité dans l’accomplissement de notre mission ecclésial; elle pousse à oser dire la vérité évangélique face aux vices malencontreusement canonisés; elle stigmatise le péché et invite à la conversion. Les propositions contenues dans cet essai constituent donc un appel sans équivoque à repenser et à renouveler notre organisation ecclésiale, sociale, politique et économique à la lumière de l’évangile. La théologie prophétique est une alliée-fidèle de la vigilance et de l’action; elle invite à déployer le moteur de notre génie créateur pour que l’évangile devienne un ferment de transformation sociale; elle invite à quitter notre posture de spectateurs-complotistes face à la dégradation du tissu social en vue d’assumer notre rôle prophétique dans l’histoire.
A la vérité, par sa clarté conceptuelle, cet essai constitue un antidote face aux marchands d’illusions qui pullulent et fourmillent dans nos rues aujourd’hui en divisant les familles entières et en dynamitant les ponts relationnels. Il sous-tend plutôt un prophétisme au goût de l’évangile, qui prend toute la mesure, la densité et l’exigence de la responsabilité d’être missionnaire et solidaire des joies et des peines de nos semblables. Notre engagement prophétique devient donc à la suite de la théologie prophétique de Benoît XVI proposée par l’abbé Fabrice, l’expression du courage de la vérité quel qu’en soit le prix, car: «Sans prophétisme, nous avons une Eglise morte. […] Sans l’action prophétique, elle ressemble à une plaine d’ossements desséchés. Non seulement morts, mais secs ! Les structures d’Eglise sont desséchées, il n’y a pas de suc». Unissons donc nos voix aujourd’hui à celle de Moïse pour redire prophétiquement: « Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux!» (Nb 11, 29).

Abbé Lys MOKOKO
Prêtre étudiant en Philosophie, Université Catholique de Lyon (France)