Cette semaine, nous avons célébré deux des plus grandes fêtes de l’année liturgique: la fête de tous les Saints et la fête de tous les Fidèles défunts. Cette première semaine de novembre est notre semaine du souvenir durant laquelle nous nous souvenons avec gratitude de celles et de ceux qui ont vécu avant nous. Les célébrations de novembre sont aussi une excellente préparation à notre propre mort. Notre monde moderne fait tout ce qu’il peut pour effacer la mort de nos esprits. Les médias sont remplis de violence et d’agressivité, mais il s’agit toujours de la mort des autres. On nous présente sans arrêt des annonces commerciales promettant l’éternelle jeunesse.
Nous n’avons qu’à utiliser leurs produits miracles pour paraître dix ans plus jeunes. Nous les chrétiens, nous ne croyons pas à une mort cruelle où tout se termine au tombeau. Nous croyons dans un paradis ou la vie se transforme et change. Nous croyons que la mort est un seuil, un passage, une porte ouverte sur l’éternité. En ces derniers dimanches de l’année liturgique, l’Eglise nous offre des passages d’évangile qui nous préparent à cette rencontre ultime avec le Seigneur, notamment l’évangéliste Mathieu avec ses enseignements sur la fin des temps : annonce de la destruction du Temple, invitation à la vigilance, le serviteur qui attend son maître, les jeunes filles qui doivent accompagner le marié, la parabole des talents, le jugement dernier. Il faut se rappeler que l’évangéliste écrit son texte quelques années seulement après la destruction de la ville et du Temple de Jérusalem. Ceci lui apparaît comme le signe évident de la fin d’un monde qui est disparu à jamais.
L’évangile de ce dimanche nous parle de jeunes femmes sages et de jeunes femmes folles. Le mot «folles», «môrai», ne signifie pas tellement une personne sans intelligence, mais plutôt une personne impie, celui ou celle qui est assez fou pour s’opposer à Dieu. Le Psaume 14, 1 nous dit: «Le fou (môros) dit en son cœur: il n’y a pas de Dieu!». Dans les évangiles, «môros» désigne «celui ou celle qui bâtit sa maison sur le sable et ne met pas en pratique les paroles de Jésus» (Mt 7, 24)… Il s’agit donc d’une attitude spirituelle.
La parabole des dix jeunes filles a été comprise par les premières communautés chrétiennes comme une allégorie de l’attente du Christ. Le Christ tarde à revenir. L’époux, c’est le Christ. Les dix jeunes filles (dix désigne la totalité, comme les dix commandements) représentent l’Église qui est conviée au festin nuptial avec le Christ. Dix jeunes filles sont invitées aux noces. Cinq d’entre elles sont insouciantes, elles n’ont pas pris d’huile en réserve, les cinq autres ont été prévoyantes. Nous pouvons visualiser ces lampes comme des torches faites de chiffons inhibés d’huile et posés sur des perches. Elles sont toujours allumées, mais elles ont besoin d’être ranimées par de l’huile.
Comme l’époux tardait, les jeunes filles s’endormirent. Ici, l’endormissement n’est pas reproché. Pendant la nuit, à un moment inattendu, un cri annonce la venue de l’Époux. Elles se lèvent toutes pour l’accueillir. Mais alors que cinq jeunes filles se servent de leur huile pour alimenter la lampe, les cinq autres voient leur feu s’éteindre. Elles demandent aux autres filles de leur prêter de l’huile, mais celles-ci leur répondent qu’elles n’en ont pas assez. Leur réponse parait sévère, loin de tout esprit de solidarité. Le refus du partage n’est pas de l’égoïsme, mais il signifie qu’au jour du jugement, chacun devra répondre de soi. Il sera trop tard pour refaire sa vie. Au retour des cinq filles insouciantes, la porte était fermée. L’époux leur répondit: «je ne vous connais pas».
Cette réponse est tranchante, rude. En fait, c’est une reprise d’une formule rabbinique qui annonce une rupture d’alliance. Les cinq filles insouciantes n’ont pas été fidèles à leur mission, elles sont alors exclues de la fête. Ne nous trompons pas sur le sens de ce texte. La pointe de la parabole est la préparation à la rencontre avec le Christ et le danger qui guette les imprévoyants. Les cinq jeunes filles n’ont pas préparé jusqu’au bout la rencontre avec l’époux.
Un élan du cœur est une belle chose, mais ce n’est pas suffisant. S’il n’est pas soutenu, ce n’est qu’un feu de paille. Rester au niveau des sentiments est comme un arbre sans racine. Au premier coup de vent, il tombe. Que puis-je faire pour alimenter mon feu? Que puis-je faire pour que mon arbre soit bien enraciné? Que puis-je faire pour soutenir mon désir de rencontrer le Seigneur dans ma vie ? La parabole nous invite à aller jusqu’au bout de notre mission. Elle nous invite aussi à une fidélité (à cette mission) intelligente et ancrée dans le présent.
Une fidélité intelligente, car prévoyante. Cinq jeunes filles prévoyantes ont fait preuve de prudence. L’anticipation est indispensable. «Qui de vous, nous dit Jésus, s’il veut bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout?» (Lc 14,28). Notre intelligence est un don de Dieu. Comment l’employer pour mieux aimer l’autre, pour mieux aimer Dieu? Une fidélité ancrée dans le présent. La parabole nous encourage à ne pas repousser aux calendes grecques ce qui est central, vital. Saint Ignace demandait de prévoir sa journée comme si elle allait être la dernière. Il ne s’agit pas de penser avec angoisse que la mort peut survenir dans la journée, mais de goûter pleinement chaque instant.
Nous le savons, des moments vécus intensément peuvent avoir une saveur d’éternité. Je vous propose un petit exercice: quelle action importante je souhaiterais accomplir avant de me coucher ce soir? Je pense ici à une chose qui me tient à cœur, mais elle est si engageante que je repousse régulièrement son exécution parce que j’estime que je ne suis pas prêt, ou que je ne veux pas déranger, ou que je trouverai un autre moment plus favorable, ou que c’est difficile à faire, etc. Les excuses sont légions, nous le savons… Mais ce soir, ce sera peut-être trop tard… Qu’est-ce que je souhaiterais mettre en œuvre aujourd’hui, une simple chose, comme si c’était ma dernière journée? Par l’écoute de la Parole de Dieu, par la communion à son corps, demandons au Seigneur la grâce de ré-allumer en notre cœur notre lampe afin de mieux Le recevoir.

Saturnin Cloud BITEMO, SJ