Depuis quelques années le Congo célèbre le 28 novembre de chaque année, la fête de la République. Pourtant, les années durant, cette date était ignorée et à raison d’ailleurs. Car elle ne devrait guère bénéficier d’une attention si particulière. En réalité, il n’y a jamais eu de proclamation de la République au Congo. Ce qui s’était passé le 28 novembre 1958, loin d’être une proclamation, était ni plus ni moins qu’une délibération érigeant le Moyen-Congo, Etat membre de la Communauté française du reste, comme République autonome. La proclamation est une déclaration solennelle et publique; c’est une déclaration par un texte ou un discours adressés au public. Il n’y avait rien de tel le 28 novembre 1958. Aussi, nous nous interrogeons sur le bien-fondé et la pertinence des mobiles qui ont conduit à l’établissement de cette fête mémorative.

Un regard rétrospectif nous laisse voir à tous égards que la date du 28 novembre 1958 est à tout le moins instrumentalisée. Un examen soutenu et critique devrait nous permettre de nous faire une idée précise de cette date.

Le Congo ne pouvait être une République en 1958
Ce qui s’est passé le 28 novembre 1958 c’était plutôt une délibération (n° 112/58) de l’Assemblée territoriale qui a érigé l’Etat autonome du Moyen-Congo comme République. Autrement dit, il est reconnu au Moyen-Congo le caractère républicain, c’est-à-dire, la nature de république. Ce qui est une inconséquence car le Moyen-Congo, quoique dit autonome, est encore dans la Communauté française.
En effet, jusqu’à la fin de l’année 1958, le Congo est en réalité dans une situation absolument inédite. Selon la Constitution française et ce depuis l’année 1946, les populations de l’ensemble des colonies sont des Français. Ainsi, les populations du Congo sont tout à la fois des sujets congolais et des citoyens français. C’est une situation juridique incongrue. Comment pouvait-on dire que le Moyen-Congo était un Etat autonome, et de surcroît une République?

Il n’y a jamais eu proclamation de la République d’ailleurs
La proclamation est une déclaration solennelle et publique; c’est une déclaration par un texte ou un discours adressés au public. Il n’y avait rien de tel le 28 novembre 1958. En réalité, la France feint de reconnaître au Congo les droits régaliens le 28 novembre 1958, à la suite de la modification de l’article 86 par la loi constitutionnelle du 4 juin 1960 qui autorisait un Etat membre de la Communauté d’être indépendant sans cesser d’appartenir à la Communauté contractuelle. En fait, les instances dirigeantes françaises ont du mal à situer à la face du monde le régime exact des colonies. Elles présentent les colonies comme des Etats autonomes mais appartenant à la Communauté française; deux situations juridiques inconciliables.
Le Congo ne pouvait pas être une république en 1958. Une analyse soutenue du terme «république» laisse voir que ce concept désigne une forme de gouvernement par lequel les gouvernants administrent les biens communs par un mandat du peuple. Il s’agit, au plan constitutionnel, d’une forme d’Etat où la fonction du chef de l’Etat n’est pas héréditaire. De fait, le terme «république» s’oppose à la royauté, à l’empire où le pouvoir est assumé par filiation familiale. Ce terme trouve son application moderne avec la Révolution française qui a marqué précisément l’abolition de la royauté en France et la naissance de l’ère républicaine.
En France, la République n’a même jamais été officiellement proclamée. On retient seulement qu’en date du 25 septembre 1792, la République française est reconnue une et indivisible tandis que trois jours auparavant, il fut décidé de dater les actes de l’an I de la République. Ainsi, la période qui va de septembre 1792 à mai 1804 est considérée en France comme la première République, autrement dit, la première forme d’application du régime «républicain».
Le Congo n’étant pas encore indépendant, il ne pouvait aucunement être une République; car le premier critère d’une République est la souveraineté.
Formé à partir de deux racines latines res (chose) et publica (publique), le terme république désigne depuis la Rome antique des sociétés où le pouvoir n’est pas exercé par une famille royale. On comprend alors que ce terme tend à désigner le régime institutionnel présidentiel ou semi-présidentiel. Relevons qu’il y a dans toute République la prétention d’incarner ou de représenter le corps social tout entier. Ce terme recèle aussi un sens normatif qui découle d’un jugement de valeur sur les possibilités du peuple d’exercer la souveraineté. Il n’y a donc pas de véritable République sans exercice de la «souveraineté» par le peuple .
Ce second terme mérite aussi d’être bien éclairé. On pourrait se faire une intelligence du concept de «souveraineté» en se référant au caractère suprême d’une puissance pleinement indépendante – l’Etat – ou au peuple en tant que «corpus politicum». A ces deux premières dimensions de la souveraineté on peut ajouter une troisième, la dimension juridique qui pose la souveraineté comme l’étendue et les limites assignées au pouvoir politique. La souveraineté peut ainsi être définie à partir de ces trois dimensions dans leur approche interne ou externe. Dans sa conception interne, la souveraineté étatique renvoie à l’idée d’une puissance pleinement indépendante. Deux principaux traits caractérisent alors la souveraineté. Il y a tout d’abord le trait quantitatif qui rend compte des prérogatives exercées par l’Etat et le trait qualitatif qui rend davantage compte du principe d’exclusivité et de supériorité. Ce dernier trait fait coïncider la souveraineté avec l’autorité ultime d’une communauté politique, laquelle est censée briser toute forme de résistance des sujets ou protagonistes rivaux. De fait, la souveraineté dans sa dimension étatique consiste en la disposition d’«une capacité législative exclusive et du monopole de la violence légitime dans un cadre territorial défini». L’exercice d’une telle autorité est confié à une seule personne d’après le principe d’unité et d’indivisibilité. Ainsi, même s’il peut avoir plusieurs instances qui exercent cette autorité, l’Etat reste la seule forme institutionnelle qui l’incarne au plus haut niveau .
En l’espèce, le Moyen-Congo n’était dirigé que par un Premier ministre. En d’autres termes, c’était le Président français qui était le véritable président du Congo; d’autant plus que le Premier ministre Youlou avait des pouvoirs limités: il ne contrôlait pas l’armée, il ne décidait rien de la politique étrangère et n’avait aucune mainmise sur la monnaie.
A l’opposé de la dimension étatique de la souveraineté, il y a cette dimension de la souveraineté qui s’origine dans le «corpus politicum». Ici, la souveraineté ne se comprend que par rapport à la volonté du peuple. On doit à Rousseau cette évolution de l’idée de la souveraineté. Les prérogatives de l’Etat en tant qu’autorité au-dessus de laquelle il n’existe aucun autre pouvoir passent au peuple. La souveraineté ici découle de la volonté générale.
Au niveau externe, la souveraineté dans sa dimension étatique se comprend comme le «principe fondateur» de la Communauté internationale basée sur les Etats indépendants les uns des autres. Dans cette perspective, la souveraineté est synonyme de neutralité par rapport à tout pouvoir ou toute puissance extérieurs.
Définie par rapport au peuple, la souveraineté au point de vue externe se comprend comme l’interdiction d’interférer dans les choix politiques d’un peuple. Il s’agit bien entendu ici de l’affirmation du principe d’auto-détermination des peuples. Le principe de souveraineté des Etats apparaît de ce point de vue comme le droit de direction reconnu à un Etat, assorti d’un pouvoir de commandement et de contrainte ayant une valeur universelle et s’exerçant dans les limites de sa superficie.
Une approche sui generis de la souveraineté tend à dissocier les deux premières approches pour en proposer une conception conditionnelle avec pour critère de légitimité le respect des droits et des libertés fondamentales .

Célébrer la République le 28 novembre est un non-sens
De tout ce qui précède, il se pose une question cruciale: qu’est-ce qu’a représenté pour le Congo la délibération n°112/58 de l’Assemblée territoriale qui établissait comme République, le Moyen-Congo le 28 novembre 1958?
On sait qu’en cette date et ce jusqu’au 15 août 1960, le Congo n’avait pour autorité politique suprême qu’un Premier ministre et que l’indépendance n’était pas encore déclarée. Quelle a été l’incidence réelle de cette délibération dans la conscience sociale?
En vérité, le fait d’ériger le Moyen-Congo en tant que République antérieurement à la proclamation de l’indépendance le 15 août 1960 est un trompe-l’œil. C’était un prétexte par lequel la France, ne parvenant plus à se situer par rapport à l’autre géant colonisateur, la Grande-Bretagne qui avait adopté une politique beaucoup plus réaliste de la mise en valeur des compétences locales, ayant préparé à l’avance les colonies à une transition plus conséquente, voulait laisser croire à l’opinion internationale que les colonies avaient choisi de demeurer dans la Communauté française. En effet, une grande partie de l’opinion politique française ne voyait pas la France se séparer de ses colonies. Aussi avait-elle simulé une autonomie à ses colonies.
Comment les autorités congolaises en sont-elles arrivées à consacrer une telle farce? Ce qui n’était rien d’autre qu’une inconséquence juridique, un tour de force instigué par la France pour se faire bonne figure aux yeux de la Communauté internationale mérite-t-il vraiment d’être validé, être solennisé en Congo? A-t-on suffisamment interrogé l’histoire, consulté les sachants dans ce domaine pour valider un tel non-sens?
Il ne faut pas perdre de vue que la politique coloniale dont l’enjeu était le pillage des ressources naturelles et l’élargissement des débouchées pour l’économie de la métropole ne préconisait guère l’implantation adéquate des structures étatiques dans les colonies. C’est ainsi que les pays qui accédèrent à l’autonomie véritable héritèrent des structures étatiques obsolètes.
Jusqu’en 1960, le Congo comme les autres Etats qui faisaient partie de la Communauté française n’avait pas de réel pouvoir législatif et exécutif. La monnaie, la diplomatie, la défense et l’orientation politique restaient encore sous contrôle de la métropole . Le Congo n’était une République que de nom.

Pourquoi alors cette instrumentalisation de la date du 28 novembre?
La mise en avant de la date du 28 novembre 1958 étonne. On en vient jusqu’à lui reconnaître presqu’une égale valeur avec le 15 août 1960. Cela laisse perplexe. Ce qui étonne davantage c’est que même en France, la proclamation de la République n’est pas célébrée. C’est plutôt le 14 juillet, date de la prise de la Bastille, qui est célébré comme une fête nationale.
Faut-il relever que la République du Congo a été enregistrée sous le nom de Congo-Brazzaville, deux mois après la proclamation de l’indépendance par les Nations Unies, c’est-à-dire, le 26 octobre 1960?
Il importe de relever que notre hymne national et les couleurs de notre drapeau ont été composés, choisis et approuvés la veille de l’indépendance par le Président Youlou. Il est de fait anachronique et illogique de mettre en avant ces armoiries durant la célébration du 28 novembre comme si elles relevaient de la République autonome alors qu’elles appartiennent strictement à l’Etat indépendant. Jusqu’au 15 août 1960, la Marseillaise, l’hymne de la France et le drapeau de la Métropole prévalaient au Congo. Cela en dit long…
Cette mise en avant de la date du 28 novembre nous pousse à élaborer plusieurs hypothèses. La plus pertinence serait que la date du 15 août semble mettre mal à l’aise une certaine obédience, soucieuse de la laïcité . En effet, en tant que premier Président du Congo, l’abbé Fulbert Youlou, a fait coïncider la proclamation de l’indépendance avec la fête de l’Assomption de la Vierge Marie. Faut-il dire que les fervents de la laïcité travaillent au déplacement de la célébration de la fête nationale en cette date? Dans cette perspective, on ne devrait pas s’étonner de la célébration prochaine de la fête nationale plutôt le 28 novembre, tant le 15 août, date hautement chrétienne, semble éroder la laïcité.
La vague de réactions enthousiastes, assorties des compositions des chants les plus originales, dit tout de l’importance que les peuples africains, toutes générations confondues, ont accordé aux proclamations d’indépendance. Le 15 août reste pour le Congo un repère historique sans commune valeur. En partant du principe que l’histoire ne se rectifie pas, toute réinvention s’entend comme une négation. Et tout ce qui manque d’encrage historique s’efface toujours dans le temps quels que soient les efforts de placage. Célébrer la République le 28 novembre est un forcing boiteux, une inconséquence juridique.

Gyscard
GANDOU D’ISSERET