Selon le rapport sur la transparence fiscale en Afrique rendu public le 24 juin 2020, les pays africains ont progressé dans la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent en 2019. Ce rapport porte son attention sur le renforcement des capacités afin de parvenir à la transparence fiscale et sur la participation au partage d’informations sur les flux de fonds illicites.
Ce rapport ne reflète pas complètement certaines réalités. Il convient donc de se pencher sur les cas particuliers de chaque pays.
L’histoire récente du Congo révèle que les questions de transparence financière, de corruption et de blanchiment d’argent sont au cœur des préoccupations à la fois des dirigeants et des instances financières internationales.
En effet, la longue négociation d’un accord avec le FMI pour bénéficier d’une aide financière a été émaillée de différents points de contention.
La lutte anti-blanchiment est au cœur de la vie politique du Congo, car le Président de la République, Denis Sassou-Nguesso, en a fait l’une des priorités du pays dans le Plan National de Développement (PND) 2018-2022 qui fixe les grands chantiers de son mandat.
Aujourd’hui, il est urgent de savoir quelles sont les réelles capacités du Congo pour lutter contre ce qui s’apparente à une gangrène et comment cela peut s’inscrire dans une lutte continentale.
A l’échelle de l’Afrique, le Congo est membre du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (GABAC), l’organisme de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) créé en 2000 et reconnu comme organisation régionale de type GAFI (Groupement d’Action Financière) en octobre 2015.
Sur le plan national, des initiatives ont été prises, notamment la création en 2008 de l’Agence nationale d’investigation financière (ANIF) (Décret n°2008-64 du 31 mars 2008).
Il y a lieu ensuite de savoir comment s’organise l’action de l’ANIF Congo.
Il s’agit d’un service administratif de traitement du renseignement financier qui dispose d’une autonomie et d’une indépendance opérationnelles pour mener à bien ses missions.
Sa mission principale est de recueillir, traiter, le cas échéant, transmettre aux autorités judiciaires compétentes tous les renseignements propres à établir l’origine des sommes ou la nature des opérations faisant l’objet de la déclaration de soupçon au titre de la Lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme (LAB/FT).
La question est de savoir si l’ANIF se révèle efficace sur le terrain, si elle arrive à remplir ses missions et si cela se traduit par des résultats concrets.
Pour y répondre, il faudrait partir du Rapport d’évaluation mutuelle détaillé sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme publié par le GABAC (Groupement d’action contre le blanchiment d’argent) en mars 2015.
Sous réserve de faits et de réformes nouvelles, ce rapport constitue une bonne base pour produire une analyse pertinente.
Pour commencer, il faut avoir à l’esprit que les recommandations du GABAC sont non impératives. Elles demeurent en quelque sorte des lignes de conduite que les gouvernements doivent suivre afin de promouvoir la lutte contre le blanchiment de capitaux. Aucune sanction financière n’est encourue suite au non-respect de ces recommandations. Néanmoins, le risque de réputation peut s’en trouver dégradé.
Le risque de réputation ou risque d’image correspond à l’impact que peut avoir une erreur de gestion sur l’image d’une organisation.
Dans le cas du Congo, il s’agira du risque de réputation du pays au regard de sa lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LAB/FT) et aussi à l’égard de la corruption à l’échelle internationale.
L’objet de notre approche consiste à mettre en lumière les points permettant d’apprécier la situation du Congo au regard de la LAB/FT.
Le rapport du GABAC alerte clairement sur la vulnérabilité du secteur financier, tout particulièrement les établissements d’origine congolaise quant à la LAB/FT.
Néanmoins, un dispositif apparaît dans les établissements des filiales de groupes internationaux bancaires, afin de répondre à l’obligation de porter une attention particulière à toutes les opérations complexes, d’un montant anormalement élevé, ou à tous les types inhabituels de transactions.
Dans ces filiales de groupes internationaux bancaires, des montants seuils sont fixés, à travers des outils informatiques, leur permettent d’effectuer des alertes sur des opérations appelant à une vigilance particulière.
Les seuils fixés varient d’une banque à l’autre et se situent en moyenne à 5 000 000 Francs CFA.
A la question de répondre aux principes d’alertes, s’ajoute le problème des mesures à prendre en cas de soupçon de blanchiment d’argent.
Le blocage des avoirs d’une personne est une décision pouvant être prise par les autorités compétentes, en application de la réglementation nationale ou communautaire.
Le blocage des avoirs peut également résulter des décisions de l’Organisation des Nations Unies.
Cette décision est applicable par toute banque détenant des avoirs au nom du tiers et porte sur tout ou partie de ces avoirs selon les cas.
Il est important d’apprécier le socle posé en matière de LAB/FT. Pour autant, peut-on réellement juger de l’ampleur et de l’efficacité de ces mesures?
Lors de sa mission, le GABAC a constaté l’absence de statistiques fiables en matière de gel, saisie et confiscation des produits issus du crime de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme au Congo.
A la décharge du Congo, le règlement CEMAC ne prévoit pas de disposition pour la production et le suivi des statistiques sur les montants des sommes gelées ou saisies, encore moins pour les mesures de confiscation sur les condamnations pour blanchiment et pour financement du terrorisme.
Le rapport du GABAC alerte clairement sur l’absence de dispositif judiciaire permettant d’exécuter le gel des avoirs d’un tiers. Des recommandations ont été émises par le GABAC.
Comment résoudre ce problème? Ce serait de s’attaquer directement aux «gros poissons», les personnalités politiquement exposées (PPE) qui sont des personnes sujettes à des risques plus élevés de blanchiment de capitaux.
Sur ce point également, le règlement de la CEMAC auquel appartient le GABAC et donc le Congo, ne définit pas la notion de personne politiquement exposée et n’introduit pas de notion de risque accru, ni de vigilance renforcée correspondante.
La mission du GABAC a remarqué que certaines banques congolaises ne satisfont pas à l’obligation de vigilance sur les personnalités politiquement exposées (PPE).
Pire, cette clientèle est considérée comme une clientèle haut de gamme (population sensible ayant de par son statut, droit à certains égards) et même dangereuse, donc peu sujette à questionnement. Il lui est conféré une crédibilité du fait de son rang social et l’application des diligences prévues pour les PPE s’avère peu aisée de l’aveu même des établissements bancaires.
Une fois que le tableau d’inopérabilité est dressé, il y a lieu de se demander s’il est possible de sanctionner un pays.
Force est de constater que le règlement CEMAC ne prévoit pas la possibilité́ d’appliquer de contremesures adaptées à un pays, si ce dernier persiste à ne pas appliquer de manière satisfaisante les recommandations du GAFI.
Si la mise en place des recommandations est source de contraintes administratives, elle pourrait pourtant déboucher sur un cadre légal permettant la traduction et l’application de ces règles à travers des outils de lutte anti blanchiment (LAB) .
Des outils informatiques de LAB/FT pourraient être implémentés dans les systèmes d’information des banques du Congo.
Ces outils sont conçus afin de surveiller les opérations selon des paramètres précis.
Le montant du seuil d’alerte, lors d’un virement bancaire, le profilage des tiers en vue de connaître leurs habitudes bancaires au regard de leurs sources de revenus déclarées, la surveillance et le criblage des PPE, pour ne citer que ces pistes, sont quelques-uns de moyens de savoir.
En résumé, en matière de lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme au Congo, le chantier semble vaste.
Le Congo, loin d’être un cas isolé, illustre les difficultés des pays de la zone CEMAC à lutter de manière efficace contre le blanchiment d’argent.
La conséquence directe est une somme importante de capitaux qui échappe aux économies nationales.
De manière indirecte, le risque de réputation qui pourrait résulter des manquements cités plus haut rendrait plus difficile encore l’accès aux capitaux des institutions financières internationales qui sont désormais encore plus regardantes. Le contexte lié à la COVID-19, avec des signes avant-coureurs d’une crise économique, rend la question encore plus prégnante.
Toutefois, pour le Congo, il est encore possible d’infléchir la situation. En effet, le pays ne fait pas partie des pays africains indexés dans la Blacklist des pays dits à risque en matière de blanchiment d’argent publiée par l’Union Européenne en juin 2020. Reste à développer une réelle volonté politique, afin de poursuivre les efforts amorcés.

Lord YAOUE et Marien Fauney NGOMBE

Les Ateliers Citoyens du Congo (ACC)