Il est des responsabilités que l’on ne souhaite pas assumer dans le cours de sa courte vie. L’hommage qu’il me revient de rendre à mon ainé et ami Jean-Claude Ganga est de cette catégorie. La mort demeure souvent pour les êtres humains que nous sommes, une perspective lointaine, sans rapport avec nos préoccupations quotidiennes. Le moment de la fin de notre vie est un secret qui nous échappe.

Cela reste vrai jusqu’au jour où, comme le samedi 27 mars 2020, elle a frappé directement à notre porte, et est repartie, emportant avec elle, un être que je chérissais, Ya Jean-Claude Ganga, avec qui mon chemin s’est croisé pour la première fois au quartier «Dahomey» de Bacongo, alias Bac-City, à Brazzaville, où nous sommes nés et avons grandi. Nous étions voisins et nos papas étaient membres de l’Archiconfrérie du Sacré-Coeur des paroisses Saint François d’Assise du Plateau et Notre-Dame du Rosaire de Bacongo.

Ya Jean-Claude Ganga,
C’est toi qui en fait, me choisis, pour des raisons que tu as souvent eu l’occasion de développer. Tu devins, la différence d’âge aidant, l’un de mes protecteurs, jouant avec efficacité le rôle de grand frère. Depuis, les trajectoires de nos vies ne se sont écartées que très rarement.
C’est au quartier de Sangolo Poto-Poto Djoué-OMS et à ton cabinet de ministre des sports, du tourisme et des PTT, où je fus l’un de tes conseillers, que nos relations se sont consolidées pour se développer en une amitié qu’alimentait la certitude partagée, un peu naïve peut-être, de contribuer au bonheur de notre pays.
En te quittant une semaine plus tôt, le jour de l’inhumation ta chère épouse, Ya Eugénie, j’étais loin d’imaginer que je ne te verrais plus vivant.
Ya Jean Claude Ganga, mon frère, mon aîné, nombreuses étaient tes qualités qu’il m’est impossible d’énumérer complètement ici. Je voudrais seulement évoquer ta piété, ton humilité, ton intégrité, ta rigueur, ta scrupuleuse fidélité envers tes idéaux et tes amis, ton positionnement au-dessus des considérations ethnocentriques, ton attachement à la paix et à l’unité nationale.
Ton intégrité faisait l’admiration de tous, même de tes adversaires parce qu’elle accompagnait tout ce que tu entreprenais. En tant que grand Commis de l’État, de notre pays, ton parcours a été limpide. Ton sens de l’intérêt général te mettait au-dessus des égoïsmes et des bas calculs. Tu savais que le sens de l’intérêt général se perdait à partir du moment où l’on écoutait avec une certaine condescendance ceux qui, d’une manière ou d’une autre, appelaient à l’aide pour contourner la loi et les règlements.
Dans notre pays où beaucoup de commis de l’état, d’hommes politiques et d’opérateurs économiques ont des difficultés à se départir des affinités et contraintes ethno-tribalistes, tu as eu le mérite de montrer qu’il était possible d’agir autrement, en faisant le choix délibéré de te situer au niveau de la nation dans sa globalité. Dans le recrutement de nous tes collaborateurs aux différents postes des services de ton cabinet et des départements, tu partais toujours de la conviction que nous partagions ensemble que, malgré les vaines prétentions de certains, aucune famille, aucune région, aucune tribu, aucune ethnie, aucun clan, ne détenait l’exclusivité des compétences.
Ton altruisme légendaire, ton humilité et ta piété ont séduit tous ceux que tu avais approchés. Tu avais le cœur dans la main et tu partageais. Tu étais juste tout en restant ferme et rigoureux.
Jeune, adulte, vieux, homme ou femme, garçon ou fille, tout le monde était ton alter ego. En les fréquentant, tu avais découvert, comme tu me le disais souvent toi-même, la vérité des gens, tu avais senti une société avec ses peines et ses joies, ses misères et sa grandeur.
Tu étais toujours optimiste, car tu étais convaincu qu’il «ne fallait jamais désespérer des hommes, ne jamais renoncer à comprendre et à convaincre, ne jamais préférer la force au dialogue, tant que l’échec de celui-ci n’était pas prouvé, toujours donner sa confiance si l’on voulait espérer gagner celle des autres et rechercher l’union plus que la division. »
Merci, Ya Jean-Claude Ganga, pour l’encadrement fraternel que tu as toujours offert à tous ceux qui t’ont suivi, afin de les aider à contourner les nombreux obstacles qui se dressent régulièrement sur le cours tumultueux et imprévisible de la vie.
Merci pour ton humour légendaire qui nous a donné tant d’occasions de rire et nous a aidés à mieux comprendre l’importance de replacer les différents événements de la vie dans le cadre de leur relative signification.
Enfin, tu nous quittes tel que tu as vécu, dans la dignité, la rigueur, la justice, l’honneur et la simplicité. Partout dans ta vie professionnelle, dans ta vie sociale, dans ta vie familiale, tu as été un symbole vivant des valeurs humaines les plus nobles, un représentant particulièrement brillant de cette catégorie d’êtres humains, de plus en plus rares, qui considèrent que quand la dignité et l’honneur sont en cause, il n’y a pas de compromis possible; cette catégorie d’êtres humains qui «respectent et considèrent l’homme pour ce qu’il et non pour ce qu’il a ou pour ce qu’il possède. »
Ta mort qui nous a pris complètement par surprise, constitue une grande perte pour le Congo, pour l’Afrique, pour tes nombreux camarades, pour tes amis et pour ta famille dans laquelle tu m’avais introduit et admis.
Merci pour ta vie exceptionnellement riche, pour ton motivant exemple, lourd héritage que tu nous lègues. Saurons-nous le fructifier ?
L’on dit que les gens qu’on aime sont éternels. Pour nous qui t’aimons, qui t’avons aimé et qui t’aimerons toujours, tu seras éternel. Avec Charles Péguy, je dis que «tu n’es pas loin; tu es seulement de l’autre côté. Je continuerai toujours à t’appeler par tes nom et prénoms.»
Au revoir Ya Jean-Claude Ganga et repose en paix.