La COVID-19 est plus qu’une crise sanitaire; elle est une crise économique, sociale, humanitaire, une crise de sécurité et des droits de l’homme, mais surtout une crise humaine, qui nous touche en tant qu’individus, en tant que familles, communautés et sociétés.

La COVID-19 n’a pas rendu les armes et continue, au Congo comme ailleurs, à avoir des effets dévastateurs. Outre la souffrance humaine immédiate causée par la maladie elle-même et la perte des moyens de subsistance de milliers de personnes, la pandémie a également mis en évidence plusieurs vulnérabilités majeures, qui ne sont d’ailleurs pas propres au Congo. En effet, la crise économique mondiale ne manque pas d’impacter le pays, compte tenu de l’interconnexion mondiale, qui a facilité la propagation rapide de la pandémie. La crise a mis à jour, la précarité des chaînes de valeur mondiales qui font que le pays a du mal à se procurer des fournitures médicales et d’autres fournitures stratégiques.
Les inégalités sociales ont été exposées et rapidement exacerbées par la perte massive mais inégale d’emplois. Le secteur informel, qui représente une part importante des actifs congolais, a été rudement touché, tout comme le monde rural. Même si la crise actuelle n’est pas la première à mettre en évidence les fragilités observées, la profondeur et l’ampleur des circonstances actuelles ont placé la question de la résilience et de la préparation en tête des préoccupations. Ces vulnérabilités mises au jour sont d’autant plus préoccupantes, qu’elles sont à penser à la lumière d’autres menaces toutes aussi pugnaces, que sont les risques sécuritaires, la pauvreté, l’insécurité alimentaire, la malnutrition, etc.
La pandémie de Covid-19 a commencé à se propager en République du Congo. Actuellement, on recense près de 3200 cas confirmés (au 30 juillet 2020), avec une évolution rapide du nombre de cas chaque jour. De plus, le déficit structurel de dispositifs de surveillance épidémiologique dans le pays laisse penser à une sous-estimation de la propagation du virus. Une aggravation de la propagation constitue donc un risque majeur dans un pays où le système de santé souffre d’une faiblesse chronique. La situation sanitaire en République du Congo était avant la crise déjà fortement préoccupante, avec une faiblesse des infrastructures de santé et un accès réduit aux soins et à des installations sanitaires sûres des populations. Plus de la moitié de la population ne bénéficie pas d’une couverture des soins les plus essentiels.
Mais, la Covid-19 n’épargne pas les acteurs d’une classe politique congolaise, globalisée et voyageuse, clientèle dépensière dans les prestigieux hôpitaux d’Europe, d’Asie, de Suisse, d’Arabie saoudite ou d’Israël. Ils ont même été les premiers touchés. Bloqués chez eux par les suspensions des vols suivies des fermetures de frontières et des mesures de confinement, les voilà soudain confrontés aux conséquences concrètes de leurs politiques sur un pays qui se contente de seulement 1 % des dépenses mondiales de santé, et se débat avec deux docteurs pour 10 000 habitants. Les hôpitaux publics ne disposent en moyenne que de 1,8 lit pour 1 000 personnes. Les conditions de prise en charge dans ces établissements sont régulièrement dénoncées.
Premiers concernés par la Covid-19, les dirigeants doivent à la fois se soigner ou se protéger, tout en essayant de gérer cette crise et de masquer leurs échecs en matière de santé publique. Ils sont en quelque sorte pris à leur propre piège et c’est une première. Les Ministres et leurs conseillers, les parlementaires de même que leurs proches peinent à contenir leurs inquiétudes au gré des résultats rendus par les rares tests disponibles. Comme autant de verdicts sanitaires augurant des changements subis de gouvernance.
Si la Covid-19 a affecté d’abord les élites, il se répand désormais dans les quartiers populaires où les indicateurs d’accès aux soins sont aussi préoccupants que les risques d’une propagation rapide. Elle a pris la forme d’un virus politique et urbain d’abord, révélateur des défaillances des pouvoirs publics. Pour paraphraser John Nkengasong, directeur du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC-Africa) rattaché à l’Union africaine, «les politiciens sont les premiers responsables des faiblesses des systèmes et infrastructures de santé et les premiers à devoir trouver des solutions, dans l’urgence ».
Le système de santé en république du Congo doit être repensé totalement au regard de nombreuses considérations et limites actuelles, et il ne faut pas attendre les possibles effondrements engendrés par une pandémie de cette ampleur pour agir diligemment et efficacement.
L’énorme patrimoine culturel et traditionnel d’où est issue la pharmacopée congolaise devrait être davantage mobilisé, mutualisé, panafricanisé, en association avec la médecine et les recherches dites modernes, comme l’ont fait avec succès certains pays comme la Chine. La créativité et l’ingéniosité locales devraient être stimulées, et l’offre artisanale valorisée à l’instar des équipements hydratants hygiéniques nouveaux proposés dans de nombreux pays (Ghana, RDC, Cameroun, …).
Le coronavirus est révélateur d’une certaine «fin de l’histoire » et de l’existence de modèles alternatifs. Il revient au Congo d’inventer les siens. Le pays dispose de ressources étendues, d’une population active mobilisable et créative, de professionnels formés pour résister et vaincre la pandémie. Il faudrait pour cela que les politiques prennent les bonnes décisions et les ajustent au besoin. L’existence d’une nouvelle conscience reliant le pays à sa diaspora, ses nouveaux réseaux d’intellectuels, de professionnels, de chercheurs, de militants, d’associations, de politiques, d’indépendants, devrait pouvoir apporter des voix neuves et disruptives dans ces débats.
Le principal enseignement de la crise du Covid-19 devrait être le constat pour le Congo qu’il continuera d’être d’autant plus vulnérable aux chocs exogènes qu’il ne trouvera pas de réponse structurelle aux défis de son développement. Assertion valable aussi bien pour la santé que tous les autres domaines. En effet la dépendance sanitaire reste un problème épineux et le coût des évacuations sanitaires des élites pose un cas d’injustice sociale et d’irrationalité économique, dans la mesure où nombre de ces services sont réalisables au Congo à moindre frais. La perpétuation d’un modèle d’économie de rente, fondé sur l’exportation de matières premières non transformées en attendant des recettes extérieures volatiles est suicidaire. L’urgence congolaise, c’est en l’occurrence la production locale de services sanitaires qualitatifs étendus, la transformation sur place des matières premières, vectrice de création de valeur et d’emplois, et la diversification de la base productive.
Il est temps de se rappeler que les périodes de basculement du monde ont toujours engendré un renouvellement paradigmatique, culturel et parfois civilisationnel pour ceux qui embrassent les exigences du changement. Il faut donc faire face aux défis qui se profilent et engager résolument les combats nécessaires.
Il faut se fixer un cap optimiste tout en ayant courageusement conscience des lacunes à combler. Un autre Congo est possible tout comme l’est une autre humanité dans laquelle la compassion, l’empathie, l’équité et la solidarité définiraient les sociétés. Ce qui pouvait ressembler jusqu’ ici à une utopie est entré dans l’espace des possibles.
En somme, la pandémie a montré la nécessité d’accélérer l’industrialisation en République du Congo pour produire les produits de base et mieux faire face aux chocs mondiaux. Il est impérieux de mieux protéger les personnes vulnérables, les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Le plaidoyer pour l’introduction du revenu de solidarité universel (RSU) s’inscrit dans la dynamique de toutes ces nouvelles politiques et initiatives qui renforcent les systèmes de santé, améliorent la protection sociale et la situation économique du pays.
La COVID-19 a révélé l’importance d’anticiper sur les défis. Qu’il s’agisse des questions économiques ou des risques d’apparition d’autres pandémies, c’est en anticipant que le pays réduira les risques et les surmontera. Sortir de cette crise nécessitera une approche concertée, intégrée par les individus, les familles, la société et le gouvernement ; une approche motivée par la compassion et la solidarité. Il convient de faire de cette crise une opportunité pour construire un meilleur Congo, plus juste, plus équitable.
Dr Fulbert IBARA
Economiste de la Santé et de la Protection sociale