Le communiqué du conseil des ministres du 3 juillet dernier a confirmé une rumeur qui circulait déjà sous forme de fuites dans les réseaux sociaux: la création de trois nouveaux départements: le Djoué-Lefini, la Nkéni-Alima et le Congo-Oubangui. Ces nouvelles entités régionales seront issues des démembrements du Pool, de Brazzaville, des Plateaux, de la Cuvette et de la Likouala. En modification de la loi numéro 03-2003 du 17 janvier 2003 fixant l’organisation administrative territoriale en République du Congo.
Une décision d’un grand intérêt pour la vie de la nation qui semble être reléguée au rang d’une information ordinaire qui relèverait de l’usage habituelle par le Gouvernement de ses attributions dans le cadre de la gestion quotidienne du pays. Ce silence est encore plus équivoque lorsqu’il émane des spécialistes en la matière, des sociologues, des planificateurs, des démographes et des historiens, confinés dans un mutisme, attendant que le projet de loi passe au Parlement, comme une simple lettre à la poste et que s’applique désormais la nouvelle donne imposée aux habitants des localités concernés au mépris de leur volonté.
Comment comprendre que l’élite intellectuelle d’un pays qui s’est toujours empressée de revendiquer le contradictoire et la liberté d’expression soit insensible à l’adoption des lois qui auront pour conséquence de bouleverser la vie d’une frange de la nation? S’agit-il d’un désintérêt, d’une désinvolture de notre élite ou encore d’un ras-le-bol face à l’absence notoire de démocratie participative? Nous savons qu’un État fort et bien structuré tire sa substance dans une subdivision territoriale efficiente qui doit être le moteur de son développement. De même, pour avoir un peuple uni et fier d’appartenir à la nation, vivant en harmonie, les pouvoirs publics doivent favoriser la construction de liens harmonieux et volontaristes des uns et des autres avec le territoire.
Si l’on se réfère à l’exposé des motifs fait par le porte-parole du Gouvernement, cette série de mutations administratives se justifierait par la nécessité d’un rapprochement des citoyens concernés des sièges des préfectures dans le cadre d’une facilitation de l’accomplissement des formalités administratives. De bonnes intentions qui auraient reçu les meilleurs plussoiements, si nous étions encore au beau milieu du XXe siècle. Or, le Congo vit en 2024, à l’ère de la révolution numérique caractérisée par l’émergence des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. C’est pourtant le même Gouvernement qui a pris l’habitude du battage médiatique au sujet de ces innovations dont l’un des corollaires est la dématérialisation qui rend futile la distance entre le citoyen et le centre administratif.
Ceci est une preuve évidente d’une antilogie entre la volonté exprimée par les pouvoirs publics de faire de notre pays un modèle dans le domaine de nouvelles technologies dans le but de booster son développement et la survivance d’un sempiternel besoin de rapprochement géographique pour raisons administratives. En expliquant prosaïquement une question aussi complexe, le Gouvernement semble vouloir réduire le développement de l’arrière-pays à celui des chefs-lieux. Alors qu’il est plus utile de créer un maximum d’agglomérations pour une généralisation de l’urbanisation.
En adoptant cette démarche d’émiettement territorial, le Congo navigue à contre-courant de la tendance actuelle caractérisée par un regroupement des entités décentralisées et la formation de grands ensembles régionaux. Un Congo développé que nous rêvons tous ne pourrait être envisagé que lorsque les départements conçus comme des sous-ensembles de l’Etat verront leur autonomie, leurs populations, leurs potentialités économiques et leurs espaces géographiques renforcés. Plus un État est puissant et connaît un développement fulgurant, plus ses subdivisions territoriales sont fortes. Tel est le cas des États-Unis d’Amérique dont des États puissants fédérés comme le Texas, la Floride et la Californie sont des moteurs essentiels du progrès. C’est aussi ce que l’on remarque à travers l’action déterminante des grands länder allemands comme la Bavière, la Rhénanie-du nord-Westphalie ou la Saxe. La France, ayant compris cette nécessité, a aussi pris le train du renforcement régional en marche par la création, grâce à la réforme territoriale de novembre 2014, de 14 grands ensembles régionaux comme la Nouvelle Aquitaine, l’Occitanie, le Grand Est ou encore les Hauts de France, afin de renforcer efficacement le poids des régions, gage de l’affirmation de la puissance de l’Etat.
L’intérêt du Congo en tant que pays en voie de développement et nation en consolidation est d’accélérer l’urbanisation de l’intérieur du pays. L’Etat se doit d’apporter le développement devant la porte du citoyen et non de le rapprocher d’un centre administratif. Le triptyque de l’égalité de chances, de la lutte contre l’exode rural et de la répartition équilibrée de la population sur le territoire ne pourra être atteint que par cette approche. Le Gouvernement, conseillé par les experts du ministère de l’Intérieur, semble oublier que la création des départements obéit, tout comme pour celle de l’Etat, à l’affirmation d’un idéal de vivre ensemble, à l’existence d’un passé commun et à la concordance socio-économique et linguistique. Un département ne se proclame pas. C’est une entité vivante qui puise sa raison d’être sur des ingrédients compatibles et non sur une juxtaposition géographique. La création, en 1992, du département de la Cuvette-Ouest avait obéit à cette approche en tant qu’émanation de la volonté des populations du ressort et non pas une initiative inspirée par des technocrates souvent coupés de la réalité.
La multiplication des départements corrobore la fâcheuse tendance à la création d’un mammouth étatique tirée de la constitution du 25 octobre 2015 par l’introduction abusive de nouvelles structures du genre: Conseils Consultatifs, Hautes Autorités, Hauts-Commissaires, Commissions Nationales, Agences Nationales… Tous budgétivores, alors qu’il aurait suffi de renforcer, dans une moindre mesure, le rôle des structures déjà existantes telles que le Conseil Economique et Social. Avec ces trois nouveaux départements, ce sont trois nouveaux préfets à nommer, avec leurs cohortes de collaborateurs pléthoriques, dont la conséquence ultime est d’éroder le budget de l’Etat, au moment où le même Gouvernement, confronté à de fortes tensions de trésorerie, ne se gêne plus d’attirer l’attention de la population sur le risque d’une cessation de paiements.
En réalité, nous sommes face à une multiplication de déconcentrations, en lieu et place de la décentralisation qui demeure un simple slogan car, toutes ces structures créées par délégation de pouvoirs sont dépourvues de personnalité morale propre. Or, cette absence de personnalité morale implique un manque d’autonomie de gestion. La mainmise de l’Administration centrale fondée sur le principe de la subordination rend utopique la décentralisation au Congo. Le cas flagrant du pouvoir de contrôle et de l’autorité qu’exercent les préfets sur les conseillers municipaux et les maires des grandes villes, bien qu’élus au suffrage direct, est une incohérence.
De ce qui précède, il sied de constater que cette initiative gouvernementale augmentera, à coup sûr, la liste des anachronismes de notre organisation administrative dont la simple évocation pourrait doubler la taille de ce modeste billet.
En définitive, nous pouvons affirmer que la subdivision territoriale du Congo ainsi que le modèle de sa gestion administrative méritent d’être repensés en profondeur. Une clarification des choses et une remise en ordre s’imposent par la prise en compte des besoins sociologiques historiques et démocratiques des populations concernées.
Eustache Marius Otieli
Huissier de justice et écrivain