Chaque année, quand arrive le mois de mars, il règne comme un climat d’angoisse diffuse chez nos populations. Fait exceptionnel, je crois que c’est le seul mois où les Congolais, du Nord au Sud, sont saisis du même sentiment et font l’effort de se rappeler ce qui advint il y a 45 ans. Un double événement, effroyable, lacérant les mémoires mais peut-être pas avec la même signification chez tous.
Certes, l’assassinat du Président Marien Ngouabi, suivi de celui du Cardinal Emile Biayenda cette année 1977, reste un événement inédit de douleur d’une rare gravité. Chaque année, au mois de mars, se recrée ce sentiment anxiogène de ces années-là, quand tout un pays fut plongé dans le trauma, au politique et au religieux, contribuant encore davantage à aggraver le sentiment de division de ce qui se rêvait en Nation. Des morts, il y en eut en ce mois de mars 1977 !
Malheureusement, alors que les deux portions du Congo divisé se rejoignaient dans la conviction que des événements d’une telle horreur ne devaient plus se reproduire, tacites ou solennelles, ces proclamations ne réussirent jamais à tracer la ligne rouge à ne plus franchir. Nous avons allègrement continué à nous infliger, volontairement, la souffrance et la mort. A chacune des fois que nous en avons eu l’occasion, nous avons fauché des compatriotes avec la même insouciante légèreté qu’en 1977.
Tous les prétextes ont été bons; interprétation divergente de la Constitution, contestation bruyante des résultats d’un vote, réclamation de droits acquis, opposition à des mandats, boycotts….Tout a été usé pour alimenter les géhennes dans lesquelles nous avons précipité des compatriotes. De sorte que personne ne peut dire quand cela va cesser. Ou que les deux illustres morts de 1977 nous imposent ce qu’est le vivre-ensemble vécu et pas seulement déclamé.
Marien Ngouabi et Emile Biayenda sont morts assassinés pour ce Congo qu’ils voulaient plus fraternel. Nous aurions été plus dignes de leur démarche si nous nous comportions en Nation plus soudée. Or, quoiqu’on dise (ou, surtout, quoi qu’on ne dise pas !), c’est toujours en chien de faïence hypocrite que nous continuons à nous regarder. Comme si, collectivement, nous continuions à nous regarder en coupables les uns de la mort de l’autre, et non en victimes d’une même folie qui a atteint son paroxysme.

Albert S. MIANZOUKOUTA