A mesure que la pandémie à coronavirus, covid-19 avance avec vélocité, se développe dans le même temps, une inflation langagière caractérisée par des expressions qui ont, à ce jour, des significations imprécises, sinon aussi confuses que l’est le virus lui-même. Néanmoins, la vocation utilitaire de ce nouveau lexique est avérée pour nommer la nouvelle réalité. Il est entré, de fait, dans l’usage commun des locuteurs congolais, en raison d’une fréquence d’utilisation exceptionnellement dictée par l’ampleur et l’actualité de la crise sanitaire. Et, mirabile visu, la vitalité d’une langue se mesure bien dans sa créativité. Le français est une langue vivante, c’est-à-dire, une langue portée par un enrichissement constant d’apports extérieurs et de productions linguistiques variées.

Il n’y a pas de doute que, dans les jours à venir, les lexicographes se pencheront sérieusement à recenser et dégager précisément les significations de ces vocables dans les prochaines éditions des dictionnaires de langue, afin de permettre à chacun d’en user avec aisance et assurance. En attendant, nous nous permettons, ici, de formuler quelques observations. Notre réflexion porte sur l’emploi de l’expression «mesures barrières», qui relève ici d’une langue courante plutôt que d’une langue scientifique ou technique, qui aurait justifié un type de création lexicale avec des mots-valises. Le corpus d’étude retenu est celui constitué par les discours officiels, les notes administratives, les journaux, les réclames, les encarts et affiches publicitaires, ces véhicules de contenus, qui renseignent sur la campagne de lutte contre la pandémie à coronavirus.
Où se situe alors le problème ? Dans ces supports écrits, l’expression revient régulièrement dans sa forme scripturale actuelle et fixe notre attention surle statut grammatical des énoncés discursifs.
En effet, l’expression «mesures barrières», est ici construite sur une faute de grammaire. La grammaire, chacun sait, est la discipline normative de la langue. Elle définit les règles à suivre pour parler et écrire correctement une langue. Utilisée telle quelle, l’expression en cause est agrammaticale. « Mesures barrières » est une juxtaposition de deux noms, à savoir, «mesures», d’une part, et «barrières», d’autre part. Il est bien connu que le nom, nomme les choses en elles-mêmes, c’est-à-dire qu’il ne dit rien d’autre que ce qu’il signifie. A ce titre, le nom ne dit rien d’autres mots du discours. On dit alors que le nom à une incidence interne ou que le nom est auto-incident (1), c’est-à-dire qu’il a un apport qui est incident à un support interne. On le voit clairement, «mesures» ne peut rien dire de «barrières» que sa propre signification.
Pourtant, Le petit Robert nous situe bien sur l’autonomie de chaque substantif :
– «Mesures» signifie manière d’agir proportionnée à un but à atteindre ; actes officiels visant à un effet ;
– «Barrières» signifie obstacles naturels qui s’opposent au passage, à l’accès ; ce qui sépare ou fait obstacle.
Dans le cas d’espèce, l’expression renvoi à un ensemble de dispositions officielles prises pour faire obstacle à la transmission de la maladie à coronavirus, Covid-19.
Examinons maintenant l’application syntaxique de cette auto-incidence nominale.
Que dit la regèle ? En vertu du caractère interne de l’incidence nominale, il est agrammatical de juxtaposer deux noms(2). Ainsi, «mesures barrières» est agrammatical puisque le nom mesures est inapte de dire quelque chose du nom barrières.
Comment rendre ce tour grammatical ? Trois possibilités se présentent :
La première possibilité consiste à transformer le second nom en complément déterminatif par l’utilisation de la préposition «de». «Mesures barrières» devient alors mesures de barrière. Ainsi, sur ce modèle, nous disons et écrivons avec justesse : mesures de prévention, mesures de protection, mesures d’hygiène, mesures d’accompagnement, mesures de précaution, etc.
La deuxième possibilité est celle qui consiste à user de la catégorie grammaticale de l’adjectif, si le second nom peut prendre cette catégorie. En réalité, l’adjectif apporte une précision sur le nom qu’il qualifie, son rôle étant d’être incident au substantif ; incident à un élément externe (3). On constate bien que cela n’est pas possible, dans le cas précis, le nom «barrières» étant inapte à cette mutation ou changement de la classe grammaticale.
La troisième possibilité consiste à recourir à l’un des procédés de formation des mots en français : la composition (4). La composition est l’un des moyens d’enrichissement du lexique d’une langue. Elle consiste proprement en la formation des mots nouveaux à partir de deux ou plusieurs mots autonomes, d’un mot autonome et d’une partie de mot ou de deux parties de mots. En grammaire du français, un mot composé est un ensemble de mots formant une unité syntaxique et sémantique. Il peut ainsi prendre diverses formes. Selon le type de lien réunissant ou séparant ses différents constituants, on peut avoir un composé unifié dont les éléments sont agglutinés ou soudés (portemanteau) ; un composé détaché dont les éléments sont séparés par un espace (pomme de terre) ; un composé à apostrophe dont les éléments sont séparés par une ou plusieurs apostrophes (aujourd’hui) ; un composé à trait d’union dont les éléments sont séparés par un ou plusieurs trait d’union (chou-fleur ; arc-en-ciel). Cette dernière indication nous intéresse, car elle est applicable au cas en étude qui est celui d’un mot composé nominal formé à partir des noms «mesures» et «barrières».
Qu’en est-il enfin de la notion d’accord dans cette expression ? Pour former le pluriel des mots composés, il faut identifier la nature de chacun de leurs éléments. Que dit la règle ? En général, dans un mot composé, seuls le nom et l’adjectif sont susceptibles de prendre la marque du pluriel. Le verbe, la préposition et l’adverbe utilisés dans un mot composé étant des invariants (5). On peut l’illustrer par les constructions suivantes :
Premier cas : Nom+nom. Il y a accord pour les deux noms, chaque nom étant au pluriel. Exemple : des choux- fleurs; des balais-brosses; des chiens- loups ; des oiseaux- mouches.

Deuxième cas : Adjectif + nom. En général chaque mot est au pluriel. Exemple : des beaux-frères ; des coffres- forts ; des ronds-points.

Troisième cas : Nom+ préposition + nom. Seul le premier nom prend la marque du pluriel. Exemple : des pommes de terre ; mesures d’hygiène.

NB : Comme dans toutes les langues, des exceptions existent à la règle générale. Il convient donc de consulter le dictionnaire chaque fois que de besoin.
En définitive, et prenant appui sur les règles qui démontrent l’agrammaticalité de l’expression en cause, il est recommandé de dire ou d’écrire: «mesures de barrière» ou «mesures-barrières», en lieu et place du vocable usité : mesures barrières.

Romain Bienvenu OBA