Nous entretenons désormais un rapport singulier avec la mort. Elle ne représente plus la limite de la vie, l’au-delà visible dans l’un de nous et par lequel nous lui témoignons respect et déférence. Aussi bien nos traditions que nos marques de courtoisie usuelle imposaient le silence devant un deuil, une solennité qui témoignait de notre respect devant l’inéluctable auquel nous sommes condamnés tous. Il fut des temps où traverser un cimetière se faisait en silence…
Tout cela relève désormais du passé. Les choses se sont brutalement inversées. Une veillée en silence devient signe d’indigence. Une veillée où on ne boit pas à tire-larigot souligne l’indigence ou, pire, l’égoïsme des éprouvés. La veillée mortuaire aujourd’hui se joue des conventions et des rites. Ou plutôt, elle se forge les rites de son iconoclastie, tire la corde des nouvelles limites infinies de l’indécence. Que les choses viennent s’y exhiber en des scènes obscènes voit les adultes courber l’échine.
Les sociologues tentent de nous convaincre que toute société cherche à exprimer ses frustrations en bravant les interdits. Se moquer de la mort, c’est se donner le courage de l’affronter. Que l’obscénité de ces jeunes est le signe de leurs angoisses devant l’incompréhension de la mort. Qu’ils usent de transgressions pour dominer leur propre peur de la mort. A preuve, dit-on, ils sont souvent les premiers à désigner le coupable le plus commode, à le violenter, parfois à le tuer pour qu’on en finisse.
Les jeunes disent leur non à tout héritage de respect envers les morts, envers la mort. Ils entendent braver les interdits et se donner le courage de ceux qui osent. Un jeune qui meurt dans un quartier devient leur mort. L’oncle qui se hasarde à venir à la veillée, la tante ou le papa âgés se désignent «volontairement» à leur vindicte. De sorte que la première question que l’on pose au retour d’une veillée est: «Ça s’est bien passé?». Question ridicule s’il en est, car que peut-on attendre d’un rite funéraire sinon son déroulement normal?
La mort est désacralisée pourtant y compris par les adultes et les autorités. Les réseaux sociaux nous donnent à voir des tombes éventrées par les érosions, ou inondées par les crues : un vrai scandale ! Et comme si on s’était amusé à pousser le curseur de plus en plus loin, on donne à voir sur les réseaux sociaux des scènes de mort en dire. Décapitations (au Togo et au Cameroun) ; toute la scène d’une mise en bière à Brazzaville, jusqu’aux propos d’un édile qualifiant la morgue de «poumon de la mairie».
A ce rythme, il ne nous reste plus qu’à refuser de mourir! Car, si du vivant d’un malade, on a eu droit au cynisme et aux racontars des collègues, des voisins de quartier et des membres de la famille, il n’est pas sûr que le traitement que reçoivent nos corps à la mort fasse gagner un gramme d’humanité à qui que ce soit. Repose en paix? Beau cynisme ! Pouvons-nous y faire quelque chose, ou bien tout est-il tracé d’avance jusqu’au jour où pleurer un mort sera décrété antisocial?

Albert S. MIANZOUKOUTA