Emotion. Indignation. Scandale: on a profané la tombe du Cardinal Emile Biayenda à la cathédrale! Dans notre société, tout se passe désormais comme si nous étions engagés dans une course effrénée contre nous-mêmes. Comme si notre ordinaire était trop banal, et que les dépassements que nous décrions dans nos trop grands manquements à la morale, à l’éthique, à la loi des hommes ou de Dieu étaient devenus trop simples. Il faut en faire le plus possible, nous montrer le plus inhumains possible, transgresser le plus de codes pour nous sentir vivre.
Les pilleurs de tombe ne savent plus se donner des limites. Il faut tout défoncer et tout massacrer: les vivants et les morts. S’agit-il d’une quête nouvelle de mieux-être? De l’accomplissement de rituels ésotériques prescrits par quelque officine obscure? De manifestation d’une quelconque volonté édictée quelque part? Le fait est que notre indignation aurait dû se manifester. Car cette désacralisation a été précédée par une série d’actes aussi ignobles perpétrés dans différentes villes du Congo. Des présumés coupables ont même été présentés à la télé…
A dire vrai, le phénomène cyclique des violences contre le sacré n’est pas nouveau. Nos églises et nos cathédrales ont pris l’habitude de se barricader au soir tombé contre les vols d’objets liturgiques, les violences contre les statues, des vols de ciboires et de parements sacrés. L’intrusion dans nos églises et chapelles a toujours été observée au fil des temps. Mais ce n’est pas pour cela que nous devrions nous complaire dans une tolérance de l’intolérable. Tant que nous nous sentons comme tétanisés devant les actes qui devraient nous révolter, nous bâtissons une société vermoulue.
Tant que nous ne pouvons nous appuyer sur aucune valeur pour bâtir même cette société du vivre ensemble que chantent les slogans, rien de consistant ne sortira de ce qui pourrait être présenté comme une volonté de respecter et de protéger le Congolais. Vivant ou mort. Nous savons les petits trafics qui s’opèrent autour des cadavres à la morgue du CHU: si l’on veut des corps mieux réfrigérés, il faut y mettre le prix. Si l’on veut que le corbillard mette la sirène, fasse un tour au domicile du défunt ou à son ancien lieu de travail avant le cimetière, il faut faire parler la poche. Pas le cœur.
De là à s’attaquer à la tombe d’un Cardinal mort dans des conditions déjà trop scandaleuses, on pense qu’il n’y a qu’un pas, franchi sans retenue par les pilleurs de la cathédrale. Ou par les bâtisseurs du cimetière de la Tsiémé, pourtant chargé d’une émouvante histoire de sang aussi, à la grande indifférence des pouvoirs publics. Ressaisissons-nous: la paix de nos morts devrait être l’un de nos rares thèmes de consensus. Au fond, qui respecte la mort, respecte la vie! Profaner la tombe du Cardinal, c’est le tuer deux fois.

Albert S. MIANZOUKOUTA