Cette date ne peut se ramener qu’à la proclamation de la République quand le Moyen Congo ne changea pas fondamentalement son statut colonial. Au demeurant, des événements graves et douloureux endeuillèrent la ville océane, capitale du pays ce jour. Il n’y eut pas de fête à Pointe-Noire, il y eut plutôt deuil et déchirements ethnocentristes, lesquels continuent d’imprimer la conduite des politiques, divisant ainsi les Congolais en Nord, Sud, Nibolek, Tchek, etc.
Des personnalités peu instruites de l’histoire ont raconté des énormités lors de cette célébration. Ils ont soutenu que le Président Denis Sassou-Nguesso serait le premier dirigeant du Congo à fêter l’événement en 1991. C’est archifaux ! Car les 28 Novembre 1959, 1960, 1961 et 1962 furent célébrés avec faste et flonflons par le Président Fulbert Youlou. Elèves au lycée Chaminade, sous la direction de Monsieur Daniel Ovaga, nous avions exécuté des mouvements gymniques au Stade Eboué, le 28 Novembre 1960. La fête fut rehaussée de la présence de Moise Kapenda Tchombé, président de l’Etat sécessionniste du Katanga, ami du Président Fulbert Youlou.
A l’occasion de cette de célébration, il n’est pas inutile de se poser des questions ! Comment une colonie peut-elle se muer en République sans être un Etat indépendant?
Ce jour, la République vit le jour, sans drapeau, sans hymne, sans sceau, ni armoiries. Ce n’était prévu nullement. Et on continua de chanter la Marseillaise, au lever du drapeau tricolore français. Le Premier ministre Anatole Collinet Makosso a rappelé dans son discours que les armoiries de la République furent adoptées en 1963. C’est dire que les Congolais, à commencer par leurs dirigeants subirent sans broncher ces mutations. Ils ne maitrisaient rien de la marche des affaires.
Les raisons de ces bizarreries
Tout ce qui se passa dans les colonies françaises, releva des trouvailles du général Charles De Gaulle, un homme de génie, la France étant sa passion. Lui seul savait dans quel dédale, il engageait l’ancien empire français. Les leaders et hommes politiques congolais, ne virent que du feu, eux qui refusèrent l’accession à l’indépendance. Charles De Gaulle, revenu aux affaires dans les circonstances quelque peu insurrectionnelles, fut soutenu par le Comité de Salut Public, animé par le général Massu. On fit appel à ce prestigieux personnage aux fins de mettre un terme à la guerre d’Algérie. Et il en profita aussi pour concocter un projet pour les colonies, surtout après la débâcle de l’armée française à Dien Bien Phu en Indochine.
Arrivé à Brazzaville, Charles De Gaulle annonça au Stade Eboué, le 24 Août 1958 l’avènement de la 5e Constitution de la République et la formation de la Communauté. Un référendum prévu le 28 septembre 1958 en déciderait. Charles De Gaulle soutint dans son propos que ceux qui refuseraient la Communauté seraient des partisans de la sécession. Par sécession, il évoquait l’Algérie en ébullition. Car sous la direction du FNL, depuis Novembre 1954, ses militants menaient le combat de leur libération. A leurs frontières, les Congolais étaient informés de l’action des maquis tenus par l’Union des populations du Kamerun (UPC) harcelant les troupes françaises afin de les bouter hors de leur pays. Eux aussi étaient des sécessionnistes dont parlait De Gaulle. Quand De Gaulle évoqua la sécession pour ceux qui voteraient Non, il fit peur, et les gens prirent cela pour une menace. Car les ressortissants des colonies n’ignoraient pas les atrocités et brutalités des militaires français en Algérie et au Cameroun, certains de leurs compatriotes servaient sous le drapeau français et racontaient avec force détails la mort semée sur ces champs d’ opérations.
La Communauté fut du bluff
Charles De Gaulle développa dans son discours les bienfaits de la Communauté, qui voyait la France et les anciennes Colonies mettre tout ensemble pour le bien de tous. La France maintiendrait son monopole d’exploitation des ressources stratégiques, de la monnaie, de la défense nationale, de l’enseignement supérieur, de la diplomatie pour le bien de tous. En fait, il n’y eut jamais de Communauté ce fut du bluff. Il n’y eut rien de nouveau, on embraya sur le néocolonialisme. Et le 28 septembre 1958, le référendum eut lieu en France métropolitaine et dans les Colonies. Ce serait oui ou non. Le oui l’emporta. Léon Mba, Premier dirigeant du Gabon avant le vote avait dit opter pour la départementalisation pour son pays. Il le dit à Yvon Bourges. De Gaulle refusa net. La Guinée de Sekou Toure vota non et proclama son indépendance.
Le Moyen Congo vota à plus de 99% oui. Le vote du camp qui réclamait l’indépendance comme celui de Julien Boukambou, Thauley Ganga, Aimé Matsika et des militants de l’Union de la jeunesse congolaise eut moins de 2500 voix.
J’ai personnellement vécu une expérience. J’ai emprunté un véhicule du transporteur Prosper Okombi chargé de conduire une dizaine de militants du MSA dépêchés dans le Nord Congo pour faire voter Oui. Ils étaient chargés de casiers de boissons pour les chefs coutumiers et les militants qui seraient arrosés pour la bonne cause : suivre De Gaulle, c’était l’avis d’Opangault.

Des faits de corruption en 1957
Jacques Opangault Vice-Président du Conseil de gouvernement du Moyen Congo et d’autres hommes politiques prirent part aux festivités du 14 juillet à Paris. Le Conseiller Georges Yambot, de la circonscription de Mossendjo fut de la délégation. L’abbé Fulbert Youlou et le Conseiller de l’Union française Emmanuel Damongo Dadet, l’orientèrent vers Félix Houphouët Boigny pour assouvir ses appétits d’argent et de biens, Opangault excédé, refusa d’honorer ses multiples demandes. On lui intima l’ordre en conséquence de changer de bord. Youlou lui promit une camionnette Land Rover et l’érection d’une région nouvelle dont Mossendjo serait le Chef-lieu (la Nyanga Louessé). Une fois rentré au pays, Yambot annonça qu’il quittait le MSA pour l’UDDIA. Opangault réclama l’organisation d’une élection partielle. Ce que l’administration refusa. Quand les Conseillers du territoire après le référendum furent convoqués à Pointe-Noire, le climat était lourd. L’émeute planait. Le vote pour la proclamation de la République se passa dans la matinée, et tous votèrent ‘’pour’’ sans problème.
Dans l’après-midi, les Conseillers MSA désertèrent la salle accusant Youlou et le gouverneur de complot. Et les 23 élus UDDIA élirent à l’unanimité l’abbé Youlou au poste de Premier ministre. Des émeutes éclatèrent dans la ville. Il y eut des morts, de maisons et boutiques détruites. L’Assemblée devenue nationale adopta un texte constitutionnel en 12 articles. Le Premier ministre nomma ce jour Stéphane Tchitchelle ministre de l’Intérieur et Henri Bru directeur de son Cabinet. Il transféra la capitale de la République à Brazzaville dont il avait été élu Maire en Novembre 1956.
Le 08 Décembre 1958, il forma cette fois un gouvernement plus complet, mais entreprit le débauchage des élus MSA. Le député d’Abala, Albert Fourvelle fut nommé Ministre d’Etat sans attributions et Henri Itoua député de Makoua renonça à un poste ministériel et lui proposa le greffier Innocent Odicky comme Ministre des Affaires coutumières. Youlou aurait pu s’inspirer de l’exemple du gouvernement précédent. Opangault ne disposant que d’une voix de majorité forma un gouvernement d’union, répartissant 10 postes ministériels entre le MSA et l’UDDIA à égalité. Youlou y siégeait comme deuxième personnalité de l’équipe. On aurait fait certainement l’économie de la guerre civile de 1959.
Après le 28 Novembre, Opangault, réclama les élections législatives telles qu’elles furent prévues dans l’accord conclu par Yvon Bourges Gouverneur général de l’AEF avec les leaders de cette entité coloniale. Youlou se boucha les oreilles et modifia tout l’arsenal législatif. Il créa même une circonscription électorale du Pool en juin 1959 allant de Mindouli à Abala dans l’Alima Léfini pour 25 députés. Mais en février 1959, des émeutes intercommunautaires eurent lieu à Brazzaville, créant un grand traumatisme. Il y eut des morts, de la haine interethnique.
Le 28 Novembre 1958 fut le jour de la proclamation de la République certes, mais non celui de la fête. Il inaugura le processus de déchirements dont on n’aime pas parler.
L’intervention du Premier ministre ce jour sur la République n’a pas débrouillé ce concept. Car ses canons restent pratiquement insaisissables et n’apparaissent nullement au grand jour. La gestion des affaires publiques ne rend rien d’évident. Comme quoi, dies illa dies irae, ce 28 Novembre 1958. Ce fut le deuil, il n’y eut aucun enthousiasme dans les rangs des Congolais et la République naquit par césarienne tragiquement, sans fête, sans tambour ni trompette, sans danses folkloriques non plus.

Lecas ATONDI MONMONDJO