Un coup d’Etat suscite généralement dans l’opinion nationale et la communauté internationale deux genres de réactions opposées: soit une vive désapprobation suivie d’une sévère condamnation, soit un enthousiasme populaire atténué souvent par une timide condamnation, en fait, par principe, de l’étranger. Pourquoi cette double réaction presqu’aux antipodes, l’une de l’autre? D’abord, comment définirait-on un coup d’Etat? Ensuite, le coup d’Etat opéré ces derniers temps au Mali ne constitue-t-il pas présentement un cas d’école, une illustration classique des ingrédients à la base d’un putsch?

1.Un essai de définition du coup d’Etat
Sur le plan politique, un coup d’Etat est un renversement du pouvoir par une personne ou un groupe de personnes investies d’une autorité, de façon illégale et souvent brutale. Il se traduit par une rupture constitutionnelle sur le plan juridique. On distingue le coup d’Etat d’une révolution en ce que celle-ci est populaire. Le putsch est un coup d’Etat réalisé par la force des armes.
D’un point de vue historique, et y compris dans l’époque contemporaine, le coup d’Etat a été l’un des moyens les plus fréquents utilisés pour accéder au pouvoir, en se fondant sur l’idéologie prônée du «pouvoir au bout du fusil», avec toutes les violences et les dégâts humains et matériels imaginables. On croyait à jamais révolu cette époque des coups d’Etat militaires ou civiles, après la tenue des conférences nationales et l’instauration de la démocratie pluraliste. Mais, malheureusement, ce n’est véritablement pas le cas aujourd’hui.
Une autre version alternative présente le coup d’Etat comme un acte d’autorité consistant dans une atteinte réfléchie, illégale et brusque, aux règles d’organisation, de fonctionnement ou de compétence des autorités constituées, atteinte dirigée selon un plan préconçu et pour des raisons diverses, par une personne ou un groupe de personnes en un parti ou un corps, dans le but, soit de s’emparer du pouvoir, soit d’y défendre ou d’y renforcer sa position, soit d’entraîner une simple modification de l’orientation politique.

2. De l’illégalité du coup d’Etat
En considération de l’exposé ci-dessus, le caractère illégal du coup d’Etat apparaît comme une évidence. L’illégalité, c’est le caractère de ce qui est contraire à la loi, de ce qui se place en dehors de la loi. Le coup d’Etat met fin à l’ordre institutionnel établi dans le pays.
Cependant, il est à noter que la légalité en cours ne rend compte ni de l’origine, ni de la nature et ni de la qualité du pouvoir en question: mode d’accès antérieur au pouvoir (usurpation du pouvoir, élections truquées ou frauduleuses, tripatouillages de la Constitution…), gouvernance publique scabreuse, etc. Alors, un coup d’Etat opéré dans ces conditions paraît légitime.

3.De la légitimité du coup d’Etat
C’est par rapport à l’accueil réservé au coup d’Etat que se concrétise la légitimité de celui-ci. La légitimité est la qualité de ce qui est fondé en droit, mais surtout en justice ou en équité (définition du Petit Larousse). En d’autres termes, la légitimité repose donc sur une autorité qui est fondée sur des bases juridiques, mais essentiellement sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le libre consentement d’un groupe social ou d’une communauté.
On comprend donc que la légalité correspond au droit écrit, le droit positif, et que la légitimité correspond à la morale, à ce qui est juste.
En sciences sociales, la légitimité est un accord tacite subjectif et consensuel axé selon des critères éthiques et de mérite, quant au bien-fondé existentiel d’une action humaine.
C’est pourquoi, un coup d’Etat qui se fonde sur cette considération suscite véritablement un engouement populaire, tel que celui du Mali.

4.Du coup d’Etat de 2020 au Mali
Le coup d’Etat du Mali de 2020 a été perpétré par les forces armées maliennes le 18 août 2020. Il démarre au camp militaire Soundiata-Keita situé à 15 km au nord de Bamako, la capitale du pays. Il aboutit au renversement du Président de la République, Ibrahim Boubakar Keita, au pouvoir depuis 2013.
Le coup d’Etat a lieu alors que le Mali est embourbé dans une guerre, avec de très nombreuses violences terroristes et inter-ethniques, depuis 2012. Des tensions entre le Président Ibrahim Boubakar Keita et l’armée étaient apparues en fin 2019, après une série de combats et d’attaques contre l’armée faisant de très nombreuses victimes militaires, notamment l’attaque d’Indelimane où 49 soldats maliens ont trouvé la mort. La réaction du Président Keita, qui s’était contenté de quelques déclarations, avait été jugée insuffisante par les militaires.
La publication à la mi-août d’un rapport de l’ONU accusant le général Kéba Sangaré, le commandant en chef de la région du centre, de n’avoir rien fait pour empêcher le massacre de civils peuls par des miliciens dogons en février 2020 à Ogossagou, provoque des tensions.
De plus, les soldats du rang, notamment les jeunes recrues, se plaignent fréquemment de la corruption de certains officiers et de la mauvaise gestion de l’armement par ceux-ci dont certains seront arrêtés durant le coup d’Etat.
La diffusion fin juillet de vidéos du député et fils du Président Kéita, Karim Boubakar Kéita, en compagnie de femmes dénudées sur un yacht en Espagne, avait de plus choqué l’opinion publique civile et militaire confrontée aux difficultés quotidiennes, économiques et militaires. Le limogeage du chef de la sécurité présidentielle le 17 août semble avoir été l’élément déclencheur du putsch.
La mutinerie a eu lieu dans un contexte de manifestations monstres et de contestations du pouvoir depuis le mois de juin 2020, menées par le Mouvement du 5 juin — Rassemblement des forces patriotiques, à cause de la guerre et des irrégularités supposées lors des élections législatives maliennes de 2020. Ces manifestations avaient dégénéré à Bamako, provoquant 23 morts et plus de 150 blessés, selon l’opposition, et donné lieu à des affrontements entre policiers et manifestants les jours suivants.
La communauté internationale (ONU, UA) a sévèrement condamné le coup d’Etat et exigé, sans délai, le rétablissement de l’ordre constitutionnel interrompu. La CDEAO est allée plus loin en réclamant, sans condition, le retour au pouvoir du président déchu, Ibrahim Boubakar Kéita, avant de se raviser.
Conclusion
Somme toute, la situation politique actuelle du Mali met en exergue le débat entre les partisans de la thèse de l’illégalité et ceux de celle de la légitimité du coup d’Etat. Le premier terme justifie la position des tenants du régime honni – pour sa mauvaise gouvernance notoire qui a plongé le pays dans une crise multidimensionnelle — en prenant la défense de la légalité constitutionnelle. Le deuxième terme reflète l’opinion des partisans des remises en cause fondamentales en vue du changement radical des hommes et du mode de gestion du pays pour un mieux vivre collectif véritable.
En fait, le terreau d’un coup d’Etat à l’ère de la démocratie pluraliste, les ingrédients qui lui donnent son caractère salvateur et d’où il tire sa légitimité, est constitué effectivement par l’impossibilité de l’alternance démocratique à cause des tripatouillages de la Constitution, les entraves aux libertés publiques (médias publics aux ordres, manifestations publiques interdites), l’overdose du culte effréné de la personnalité et de l’extrême personnalisation du pouvoir, la systématisation du tribalisme et du népotisme, la gabegie financière. Bref, une gouvernance publique émaillée de multiples facteurs bloquants comme dans les Etats pétroliers de l’Afrique centrale.

Claude-Richard M’BISSA
Ancien élève de Sciences Po Paris