Depuis un certain temps, le débat sur l’opportunité pour les pays africains de rester dans la zone Franc ou d’en sortir refait surface, drainant beaucoup de passion et débouchant presque sur une opposition frontale entre les partisans et les détracteurs de la zone Franc. Pour illustration, la réaction outrecuidante du Dr Léon Mayeko (La Semaine Africaine n°3544 du 13 novembre 2015) à notre article paru dans le journal La Semaine Africaine n° 3537 du 16 octobre 2015, intitulé: «Le Franc CFA, un obstacle à la stabilité socio-économique».

D’aucuns pensent que cette monnaie est un gage de stabilité et de contrôle de l’inflation, tandis que d’autres y voient un instrument de sous-développement et de pauvreté. Quel est l’impact du franc CFA sur le développement des pays africains qui utilisent cette monnaie? Faut-il maintenir cette monnaie ou non?
Pour peu que l’on fasse l’effort de s’intéresser aux débats ou à l’énonciation, en leurs grands axes, des programmes de gouvernement ayant ponctué les différentes campagnes présidentielles de ces dernières années en Afrique francophone (Congo, Togo, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Burkina Faso, Niger, Bénin, etc.), moments de dialogue et d’intense communion du peuple avec ses dirigeants, s’il en fut, l’on se rend bien compte de ce que la question du devenir du Franc CFA est loin d’être un sujet de prédilection des candidats quand elle n’est pas simplement absente des projets de société. Aucun débat de société réellement soucieux de l’avenir d’une nation ne saurait pourtant faire l’économie de la question monétaire, contrairement à ce qu’il est donné d’observer sous nos latitudes tropicales où une telle préoccupation est érigée en un sujet tabou, réservé à une frange infinitésimale de population: celle des seuls experts, élites et autres initiés des arcanes monétaires et du pouvoir.
Si la monnaie est un attribut de souveraineté, force est de constater que, près de soixante ans après les indépendances, quinze pays font partie de la zone franc CFA. Ce qui implique pour eux une double tutelle: française et européenne. Les opportunités de développement que cette monnaie était censée offrir se laissent toujours attendre, en grande partie du fait que la politique monétaire est calquée sur celle de la zone euro.
Le débat sur l’opportunité du maintien du franc CFA a été en particulier relancé en juillet 2015, suite au feuilleton relatif à l’éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro. Plus généralement, ce débat s’inscrit aujourd’hui, dans le contexte de la réflexion sur le financement de l’émergence des économies africaines et de ses prérequis en matière de degré de liquidité des économies.
Le franc CFA ne permet pas un bon financement des économies de la zone. Alors que dans la zone euro, le ratio crédit à l’économie sur PIB est de 100%, il n’est que de 23% dans la zone franc CFA. Les pays n’ont pas une grande marge de manœuvre pour financer les infrastructures socio-économiques indispensables au développement de leurs économies. Les banques centrales n’apportent donc pas un concours suffisant au financement de l’activité économique. Aussi, la libre transférabilité engendre la fuite des capitaux indispensables pour un réinvestissement dans ces économies. Cet état de chose permet aux multinationales, françaises en occurrence, de rapatrier facilement leur profit vers la France pour réinvestir ailleurs au détriment de l’investissement en Afrique. Ce qui décourage l’épargne nationale et favorise l’emprunt extérieur. Conséquence: les pays sont dans un cercle vicieux de l’endettement chronique.
Cette monnaie unique alignée sur l’euro a de multiples défauts pour un continent à forte croissance démographique et aux niveaux de développement économique très insuffisants. Le besoin de création d’emplois est, en effet, très important et les infrastructures de base sont encore déficientes (santé, éducation, transport, etc.). La stabilité monétaire, le faible taux d’inflation, l’absence de risque de change n’ont guère contribué au développement. Cette monnaie trop forte ne répond pas aux besoins de ces pays qui doivent s’aligner sur les politiques d’austérité pratiquées dans la zone euro pour maintenir leur taux d’inflation aux standards européens.
Si l’euro s’apprécie par rapport au dollar, la dette des pays de la zone franc augmente mécaniquement et il y a une surévaluation du taux de change qui pénalise leur compétitivité. De plus, la rigueur monétaire excessive pour préserver la parité du franc CFA amène les pays à négliger certains indicateurs comme le chômage que s’ils étaient dans un régime flottant.
En outre, selon la théorie économique de l’avantage comparatif, un pays se spécialise dans la production d’un bien où son coût de production est le plus bas possible comparativement aux autres pays. Ainsi, les pays de la zone franc ayant des coûts de production très élevés pour la plupart des biens qu’ils consomment et la force de leur monnaie par rapport à leur économie font que les importations coûtent très moins chères, comparativement à la production locale.
Par conséquent, ils sont obligés de se confiner dans les importations au préjudice du renforcement de leurs capacités de production locale.
Le franc CFA nuit ainsi aux exportations africaines et encourage les importations de produits manufacturés et agricoles étrangers, ruinant les efforts de développement industriel et agricole de la zone franc. Les pays de la zone sont donc maintenus dans une position d’exportateurs de matières premières, et leurs recettes dépendent des cours des marchés mondiaux et du taux de change euro/dollar.
Il faut alors, pour ces pays, une monnaie qui les amène à produire ce qu’ils consomment. Ce qui va équilibrer un tant soit peu leur balance commerciale.
La zone franc a besoin de produire, de transformer sur place les matières premières dont elle regorge, de donner du travail décent à ses jeunes, et de disposer d’une monnaie qui soit le reflet exact de la force de son économie réelle. À l’heure actuelle, elle prend la direction opposée: elle importe ses biens et services de première nécessité; elle «exporte» ses jeunes dans des conditions souvent dramatiques, celles de l’émigration clandestine; elle dispose d’une monnaie dont la force est illusoire, car arrimée à un espace monétaire, la zone euro, avec laquelle elle ne partage aucune caractéristique structurelle. Elle bénéficie enfin de la garantie du Trésor français qui permet à ses dirigeants d’accumuler les défaillances de leur gouvernance quotidienne sans aucune conséquence fâcheuse pour eux.
Dans ces conditions, il semble légitime de plaider pour une souveraineté monétaire, non pas en cherchant à opposer systématiquement gouvernés et gouvernants ou même en adhérant à
un discours anti-français. Il est important que les Etats africains francophones de demain soient pleinement dépositaires de leurs politiques monétaire, économique, et donc puisque l’on peut choisir pleinement et en conscience la destinée de leur pays dans un souci de développement inclusif.
Que faut-il faire dans ce cas?
Nul doute, le franc CFA a permis aux pays l’utilisant d’avoir une stabilité monétaire, une inflation faible, de réserves de change équivalents à cinq (05) mois en importation, mais cette monnaie maintient leur population dans la misère, le sous-développement.
Malgré ces avantages, il est indispensable d’aller vers une monnaie qui permet de sortir les populations de la pauvreté. Une analyse fine de la littérature abondante sur le sujet laisse penser qu’une stratégie en cinq étapes pourrait permettre de sortir de cet engrenage économique.
1-Changer le nom de la monnaie et sortir la France des instances de gestion de la monnaie. La zone doit avoir sa propre monnaie comme le Nigeria a son Naira, le Ghana son Cedi, la Chine son Yuan, l’Afrique du Sud son Rand. La monnaie doit porter l’identité de la zone qui l’utilise;
2-Changer de régime de change: adopter un régime flottant dans une fourchette avec un panier de devises avec lesquelles ces pays ont beaucoup d’échanges. Ce nouveau régime va permettre d’ajuster la valeur de la monnaie à la conjoncture économique, de favoriser les exportations. En effet, une monnaie faible par rapport aux autres devises permet de réduire les importations, car elles reviennent plus chères, mais encourage la production locale, donc les exportations. La flexibilité de la monnaie des pays africains va encourager la production locale, la rendre plus compétitive par rapport aux produits importés.
3-Garder le principe de mise en commun des réserves de change, mais ces réserves ne doivent plus être déposées au Trésor public français, mais dans leurs banques centrales. Les intérêts générés par ce placement doivent être investis dans le développement de la zone;
4-Réduire progressivement le taux appliqué pour les réserves de change en tenant compte des besoins de l’économie de la zone et ceci doit être fait par les pays africains eux-mêmes;
5- Assurer la convertibilité de la nouvelle monnaie entre l’UEMOA et la CEMAC. Ceci va favoriser les échanges inter-régionaux et la coopération sud-sud. En outre, il faut réglementer la libre transférabilité au sein de la zone.
Dans ce cadre, il faut limiter la fuite des capitaux par les multinationales hors de la zone. Ainsi, l’Afrique pourrait avoir plus de ressources à disposition pour financer son développement.

Dr Fulbert IBARA
Economiste