L’Economie sociale et solidaire (ESS) regroupe les activités économiques dont l’objectif principal, bien avant le profit, est de répondre aux besoins d’une catégorie, souvent défavorisée et marginalisée de la population. Les entités qui exercent dans le domaine de l’ESS sont généralement des associations, des mutuelles, des coopératives ou encore des fondations, mais peuvent également être des entreprises. Ces entités sont mues par les valeurs de solidarité, privilégiant l’homme au capital, au service d’un projet collectif d’utilité sociale.

Les acteurs de l’ESS posent un autre regard sur les enjeux, suscitant de nouvelles approches. Cherchant à allier finalités sociales et économiques dans un monde qui distingue généralement entre développement économique et développement social, l’Economie sociale et solidaire est ainsi «une autre façon d’entreprendre, fondée sur des valeurs comme le bénéfice à long terme, la primauté des personnes sur le capital, et le respect de l’environnement».
En effet, la crise économique et l’augmentation des déficits publics, l’ouverture des marchés et l’incidence de la mondialisation, l’avènement de l’économie du savoir ont favorisé un profond réexamen du rôle de l’Etat dans la plupart des pays du monde. L’Etat semble aujourd’hui incapable seul de faire face aux défis étroitement liés à la persistance du chômage, aux nouvelles formes de pauvreté, à la dégradation de l’environnement. Cette situation a, par ailleurs, favorisé l’émergence d’un autre secteur, autre que l’état et le secteur privé, essayant d’apporter une contribution à la résolution de plusieurs problèmes sociaux, en plaçant l’homme au centre du processus du développement économique et social. Il s’agit du troisième secteur, ou économie sociale.
L’économie sociale constitue, aujourd’hui, une réalité économique intéressante et un enjeu stratégique important, qu’il s’agisse du développement de nouvelles activités économiques, de la création ou du maintien de l’emploi, de la prévention de l’exclusion sociale, de l’aide aux personnes ou encore de l’apprentissage et du renforcement de la démocratie économique et de la citoyenneté active.
Bien que la part de la population congolaise vivant en dessous du seuil de pauvreté ait baissé de 51 % à 41 %, entre 2005 et 2011, le taux d’extrême pauvreté semble avoir augmenté à partir de 2016, en raison de la baisse des cours du pétrole, surtout en milieu rural.
65 % des Congolais les plus pauvres vivent dans les six régions du sud du pays. Moins de 4,9 % d’entre eux sont couverts par des programmes de protection sociale.
L’indice du capital humain du Congo est de 0,42, soit en dessous de la moyenne des économies à revenu moyen. Malgré une légère augmentation du revenu par habitant, le pays a accompli de faibles progrès en matière de santé et d’éducation. La mortalité maternelle et infantile demeure élevée, avec 5 % des enfants qui n’atteindront pas leur 5e année. 21 % des enfants souffrent de malnutrition chronique et seuls 30 % des élèves du primaire ont atteint le niveau de compétence requis en mathématiques et 40 % en français.
Par ailleurs, classée 180 sur 190 pays dans le rapport Doing Business 2019 de la Banque mondiale, qui mesure la réglementation des affaires, la République du Congo gagnerait à améliorer sa gouvernance pour attirer davantage d’investisseurs privés.
En outre, l’emploi informel représente, au Congo, entre 46,7 et 60% de l’emploi non agricole total et pour les jeunes instruits autant que pour les autres, le travail dans ce «secteur» n’offre aucune garantie de sécurité ; il est sous-payé, parfois même non rémunéré, sans droits sociaux, sans profil de carrière. Ces défis demandent des réponses innovantes qui pourraient émaner de l’ESS.
Au Congo, l’ESS possède une histoire plus ancienne. La République du Congo demeure un pays où la culture de solidarité, d’entraide et de travail collectif a toujours fait partie des traditions et des pratiques des populations locales. Le peuple congolais a réussi à préserver une culture diverse valorisant son héritage et son patrimoine. Cette tradition de travail collectif et de mutualisation se retrouve dans des pratiques ancestrales telles que «les Ngwala», dans les pays bembé.
Cependant, à ce jour, l’ESS ne fait pas l’objet d’une politique publique structurée au Congo. Il n’existe aucune institution publique qui régit le secteur de l’ESS à proprement dit ou du moins ce champ. Or, face à l’échec de plusieurs modèles de développement, des réflexions devraient être menées pour l’élaboration d’un nouveau modèle de développement, à l’instar de l’ESS. Contrairement aux idées reçues, ce genre d’économie ne concerne pas uniquement les pays socialistes, en témoigne l’exemple de la France où l‘ESS représente 10 % du PIB et près de 12,7 % des emplois privés. Ce secteur compte, dans ce pays, environ 200 000 entreprises et structures et 2,38 millions de salariés.
L’émergence de l‘ESS en République du Congo se heurte à de nombreux défis tels que l‘absence d‘un cadre juridique réglementant le secteur. Ces défis sont à annihiler pour arriver à un cadre légal et réglementaire adéquat et compatible, pour concevoir et implémenter un cadre règlementaire qui définit l’entreprise sociale et reconnaît les composantes de l’ESS. Un cadre juridique de création des entreprises d’ESS proposé par projet de loi.
Il est souhaitable d’instituer une composante qui aurait pour mission de suivre l’évolution de ce nouveau secteur d’activité et de proposer des adaptations et actions à entreprendre. Cette composante de suivi pourrait être composée de représentants du secteur de l’ESS et des Pouvoirs publics et privés. Pourquoi ne pas créer carrément un Ministère de l’économie sociale et solidaire?

En plus, l’Etat devra :
– Mettre en œuvre un plan d’éducation et de sensibilisation à l’ESS dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle et améliorer la capacité de formation et de recherche liée à l’économie inclusive, à l’entreprise sociale et la responsabilité sociale et éthique de l’entreprise ;

– Favoriser l’accès des produits de l’ESS aux marchés en multipliant les canaux de commercialisation des produits de l’ESS par l’organisation des salons et des marchés itinérants, l’encouragement du commerce équitable, renforcement et organisation des acteurs ;

– Mettre en place un dispositif d’accompagnement et d’encadrement, notamment par un accompagnement pré-création et un accompagnement post-création, tout en identifiant les relais d’accompagnement ;

– Vulgariser et promouvoir les pratiques et les valeurs de cette économie par le développement de la communication institutionnelle ;

– Développer de la coopération dans le domaine de l’ESS par le développement du partenariat au niveau national et international ;

– Mettre en œuvre un renforcement de la législation de la microfinance, de manière à favoriser le développement des institutions de microcrédit. Le renforcement de cette législation devra notamment avoir pour objectif de développer la concurrence et l’innovation, tirer les taux d’intérêt vers le bas, et améliorer l’accès aux crédits, assurances, et autres services financiers pour les citoyens aux revenus modérés.
Nul doute, l’Economie sociale et solidaire constitue un vrai pilier pour le développement humain du Congo. L’objectif de base de l’ESS est de recréer du lien social dans les échanges économiques pour replacer l’être humain au cœur des préoccupations de l’économie. Ce projet socio-économique se construit en réaction à la dépersonnalisation des échanges marchands et à l’incapacité de l’économie de marché à réduire les inégalités de richesses et à répondre aux besoins des plus pauvres.

Dr Fulbert IBARA
Economiste de la santé et de la protection sociale