C’est le cœur serré d’émotion que nous avons appris le décès de Robert Jean-Raphaël Massamba-Débat, le lundi 5 octobre 2020 à l’hôpital militaire de Brazzaville. Il était âgé de 67 ans. On l’a porté en terre, au cimetière du centre-ville de Brazzaville, le jeudi 15 octobre.

Nous sommes désormais édifiés, nous n’entendrons plus sa voix enjouée avec ses intonations empruntes d’une ironie moqueuse, qui émergeait de la discussion, dès lors qu’il exprimait ce qui pouvait s’apparenter dans son esprit à un désaccord.
Mes relations avec Robert étaient d’ordre quasiment familiales, pour la simple raison que mon père et le sien étaient originaires du district de Boko. En outre, mon père fut un des principaux conseillers politiques du président Alphonse Massamba-Débat.
Mais revenons à Robert.
Il aimait le débat d’idées, il aimait discuter de sujets les plus variés touchant à l’histoire, aux relations internationales, aux faits de société, à la vie religieuse et à la Bible, ces deux derniers sujets étant ses domaines de prédilection. Et à l’instar de tout authentique débatteur, il maniait l’art de la contradiction et du paradoxe avec une belle dextérité, tout en sachant mesurer ses propos.
Les échanges avec lui, quand ils étaient sincères et portai nt sur un sujet qui valait la peine d’être soumis à la discussion, prenaient souvent la forme de pugilat verbal qui, les trois quarts du temps, se terminaient dans la bonne humeur et le rire. Car Robert était un rieur invétéré qui n’hésitait guère à introduire l’humour dans les sujets de conversation même les plus austères.
N’étant pas originaire du quartier de Bacongo comme lui, je ne l’ai pas vraiment connu dans son enfance et son adolescence à Brazzaville. Mais ceux qui ont grandi avec lui, m’ont laissé entendre qu’il fut un bon footballeur (au poste d’attaquant), à l’instar de Paul son frère aîné, un des éléments vedettes des équipes La macumba et AS Bantou dans les années soixante. Robert était un passionné de musique et un instrumentiste talentueux. Il était à la guitare solo dans les Techniciens, l’orchestre du lycée technique de Brazzaville.
Il pouvait exécuter avec son instrument, les partitions des meilleurs solistes des deux rives du Congo, de Jerry Gérard à Nico en passant par Franco, Papa Noël et Mavatiku.
Comme on le voit, son statut de fils de président de la République, ne l’empêcha guère de s’épanouir dans la Cité comme n’importe quel jeune homme de sa génération cherchant sa voie et désireux de vivre pleinement cette période souvent tumultueuse et insouciante qu’est la jeunesse. Et cette immersion dans la vie courante, n’était pas du tout évidente, si l’on considère le fait que son statut de fils de président de la République, jouait comme une manière de carcan enserrant son énergie juvénile.
Il vivait au palais présidentiel avec sa famille, mais ne se retenait pas pour autant de jouer au football avec ses petits copains de Bacongo, s’exposant par-là aux tacles et autres bousculades comme tous les autres joueurs sur le terrain ; Robert était un esprit non-conformiste qui refusait de se laisser enfermer dans la posture empesée d’un fils de président intouchable, inapprochable.
Ce qui m’a le plus frappé chez lui, c’était sa simplicité et sa modestie. Je n’ai jamais vu, le haut cadre de l’Etat qu’il était, prendre de grands airs à la manière de certain de ses confrères, pour marquer son rang dans la hiérarchie administrative. Son humilité, il l’a tenait probablement de sa culture religieuse. Car, à l’image de son père, il était profondément religieux. Ceux qui fréquentent le temple protestant du centre-ville, peuvent témoigner qu’il ne manquait qu’à de rares moments l’office du dimanche et qu’il prenait une part active à la vie de sa communauté de base. Il faisait partie de ces chrétiens qui vivent les enseignements du Christ au quotidien. Il se tenait à bonne distance de ces croyants du dimanche qui, aussitôt sortis d’un office religieux, replongent avec un bel aplomb dans les vices de la société, oubliant de facto les enseignements des homélies.
Robert était une personne généreuse, qui s’efforçait de répondre de bonne grâce aux d’argent de ses amis et connaissances — et celles-ci étaient continues — en ses possibilités financières. Sa sensibilité de chrétien, à mon sens, explique pour une grande p cette générosité à fleur de peau, qui ne cessait de l’habiter.
Titulaire d’un doctorat sciences économiques obtenu à l’université de Montpellier, en France, durant la décennie quatre-vingt, il avait intégré la Fonction publique et occupé divers postes administratifs, avant de prendre la direction de l’actuelle Agence de régulation des transferts de fonds (ARTF).
C’était un commis de l’Etat scrupuleux et un gros travailleur. Je le revois encore, alors qu’il avait en charge la Direction générale de l’économie, quitter son bureau à la nuit tombée, parce qu’il lui répugnait voir s’amasser les Son acharnement au travail était idiosyncrasique, si l’on peut dire, de son sens aigu du service de l’Etat.
Robert s’en est allé trop tôt, il avait encore à donner à sa famille, à son pays et à ses amis, mais le destin en a décidé autrement. Sa présence chaleureuse et amicale nous manquera indéniablement.
David nous dit dans les psaumes, combien est fragile la vie de l’homme :
« Voici, tu as donné à mes jours la largeur d’une main, Et ma vie est comme un rien devant toi.
Oui, tout homme debout n’est qu’un souffle.» (Chapitre 39, verset 6).
La mort de Robert nous afflige puisqu’elle laisse parmi nous un vide affectif et moral indubitable. Tout comme elle vient nous rappeler que nous sommes tous des passagers fugaces sur cette terre, au regard de la coulée inexorable et infinie du temps.

Jean José MABOUNGOU